dimanche 29 septembre 2013

Ces 15.000 Roms qui font trembler la France


La République française est devenue bien fragile : 15.000 Rroms bulgares et roumains suffisent à la faire trembler… Depuis quelques jours, la paranoïa de l’antitsiganisme s’étale à nouveau à la « une » des médias. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, et les ténors de l’UMP rivalisent dans cette course au mensonge, au populisme et à la démagogie. Le dernier éditorial du Courrier des Balkans.
Par Jean-Arnault Dérens


Tous les médias « sérieux » l’annoncent avec assurance : la « question des Rroms » va « parasiter », voire « dominer » la campagne en vue des élections municipales du printemps. Un nouveau « bras de fer » s’annonce d’ailleurs sur le sujet entre Paris et Bruxelles... Chaque éditorialiste, chaque commentateur y va de son point de vue, comme s’il n’existait pas, en France, de question plus urgente, plus brûlante que le sort de quelque 15 à 20.000 personnes.
Le nombre de Rroms de Bulgarie et de Roumanie qui vivent dans des bidonvilles et des campements insalubres reste d’ailleurs étonnamment stable malgré la poursuite des politiques de démantèlement des camps et d’expulsions systématiques. Cette petite communauté alimente l’antitsiganisme contemporain, alors qu’elle ne représente qu’une infime partie des Rroms, Tsiganes et voyageurs vivant en France, qu’ils y soient établis depuis des siècles ou qu’ils s’y soient installés au cours des dernières années.
Au vrai, chacun le sait bien, cette question des Rroms de Bulgarie et de Roumanie relève exclusivement d’un problème humanitaire fort simple à résoudre. Comment la France serait-elle incapable de loger 20.000 personnes dans le besoin ? De scolariser leurs enfants ? De garantir leurs droits à la santé ou à la formation ?
Le caractère dérisoire du nombre de personnes concernées suffit à rappeler que la question est sortie de toute logique rationnelle. En vérité, il n’existe aucun problème rrom en France, mais certains politiciens, de gauche comme de droite, ont cru pertinent de créer et d’alimenter un fantasme, d’entretenir un délire paranoïaque, qui se répand dans une société fragilisée par bien d’autres problèmes.


Valls, dérapage populiste calculé

Comme ses prédécesseurs Guéant et Hortefeux, M.Valls cherche à « faire du chiffre », même si l’on sait bien que les camps démantelés sont aussitôt reconstruits, que les personnes expulsées de France y reviennent bien vite. Il cherche à « faire des images », assurées d’ouvrir chaque soir les journaux télévisés.
Manuel Valls joue une partition bien connue, celle du populisme et de la démagogie. Pour cela, il n’a pas seulement besoin des images du JT et des couvertures honteuses de médias commeValeurs actuelles ou L’Opinion, mais aussi de la « réplique » que ne manquent pas de lui donner tant certains de ses collègues du gouvernement que la Commission européenne.
Manuel Valls, qui a mené toute sa carrière politique sous les couleurs du Parti socialiste, dérape – ou plus exactement, se livre à un exercice de dérapage très maîtrisé. Il utilise un langage qui est classiquement celui de l’extrême droite, et certains ministres ou députés de son propre parti ne peuvent manquer de critiquer sa « politique des coups de mentons ». De même, les extravagantes déclarations du ministre de l’Intérieur ont provoqué un inévitable rappel à l’ordre de la Commission européenne à la Justice, Viviane Reding, qui avait déjà épinglé la France de Nicola Sarkozy dans des circonstances similaires, à l’été 2010.
Ces « réponses » font le jeu de Manuel Valls, et s’inscrivent dans le storytelling imaginé par ses conseillers en communication : elles lui permettent de se caler dans la posture d’un homme du « parler vrai », à l’écoute des « vrais » problèmes du « vrai peuple de France ». Manuel Valls se pose ainsi en adversaire de la langue de bois, prêt à rompre avec la logique compassée du « politiquement correct », et même à croiser le fer avec Bruxelles, au nom des intérêts supérieurs de la nation et du peuple !
Cette construction s’inscrit dans la poursuite d’une vieille rhétorique, rabâchée jusqu’à la corde depuis vingt ans au moins, qui voudrait que l’extrême droite « apporte de fausses réponses à de vrais problèmes ». Tout le problème, est qu’en vérité il n’y a pas de problème.

Les Rroms, du fantasme au délire collectif

L’invention d’un problème rrom, orchestrée depuis quelques années par des responsables politiques de droite comme de gauche, relève du fantasme, de quelque chose qui n’a aucun fondement réel mais qui cristallise une paranoïa collective. Dans ce délire – au sens psychiatrique du terme – la surenchère constante est la règle. On a ainsi pu entendre le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Coppé, se prononcer « solennellement » contre l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’Espace Schengen au 1er janvier 2014, une hypothèse qui n’est nullement à l’ordre du jour, les ressortissants de ces deux pays devant simplement cesser d’être frappés par certaines restrictions dans l’accès au marché européen du travail.
Sur le sujet, de toute manière, les erreurs, les imprécisions et les mensonges patentés ne sont pas de nature à effrayer les dirigeants politiques d’un bord ou de l’autre, quitte à achever de ruiner l’image de la France, déjà bien mise à mal dans ces anciens bastions de la francophonie qu’ont longtemps été la Roumanie et la Bulgarie.
Quand la gauche et la droite se livrent à ce jeu dangereux, l’extrême droite n’a pas besoin d’en rajouter, car elle sait qu’elle sera, au final, le seul gagnant de cette absurde compétition. Si, véritablement, 15.000 Rroms bulgares et roumains se retrouvaient « au centre » de la campagne pour les élections municipales françaises du printemps 2014, il est facile de prévoir que ni le PS, ni l’UMP ne seront les vainqueurs des ces élections, mais seulement le Front national.
Le Courrier des Balkans, pour sa part, fidèle à sa ligne éditoriale de toujours, mais aussi aux principes fondamentaux d’opposition à toute forme de racisme et de xénophobie, continuera à informer le plus objectivement possible sur les multiples réalités sociales de la Bulgarie et de la Roumanie, mais aussi sur les populations rroms et tziganes de l’ensemble des Balkans, et sur les migrants présents en France.

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