dimanche 9 juin 2013

Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France



Sécuriser, c'est tenter de rassurer. Rassurer qui? Les étrangers menacés par la dureté de la loi réglant leur séjour? La société française menacée par les étrangers? Premier volet des réformettes de 2013, un meilleur accueil dans les préfectures et l'harmonisation de leur interprétation de la loi.
Selon les services du premier ministre, «le gouvernement a souhaité aborder la question de l'immigration avec un esprit d'apaisement et de responsabilité», évoquant «une volonté du gouvernement de réorienter la politique d'immigration de notre pays en privilégiant la concertation et l'analyse plutôt que les réformes incessantes et finalement inefficaces». Dans le même esprit, le ministre de l'Intérieur a déclaré, en conclusion du débat sans vote au Sénat sur l'immigration professionnelle et étudiante, le 24 avril 2013, préparant une retouche de la loi: «Ce projet de loi ne doit pas être l’occasion d’un grand déballage sur toutes les problématiques d’immigration – parfois, nous aimons bien les « cathédrales législatives » –, qui risquerait de susciter des passions inutiles dans le contexte actuel.»
Ces déclarations, ces éléments de langage, illustrent bien la tartufferie du pouvoir. Regardons ce qu'il en est en réalité.
- Les "réformes incessantes et finalement inefficaces", ce sont les modifications législatives au cours de années 2002-2012, qui ont conduit à une loi gravement inhospitalière et brutale, que le nouveau pouvoir se refuse à remettre en cause en profondeur.
- "Réorienter la politique d'immigration", c'est deux ou trois retouches techniques de cette loi (dont une partie imposée de l'extérieur, par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, le Conseil d'Etat, ou encore par des décisions de l'Union Européenne), et une pléthore de circulaires, qui classent les gens par profil (étudiants, familles, certains travailleurs,...) pour leur faire miroiter une petite porte d'entrée. Or, qui dit circulaire dit impossibilité de recours devant la justice qui, elle, ne connait que la loi.
- Qui est apaisé, dans l'histoire? Peut-être l'opinion ainsi manipulée, mais certainement pas la majorité de nos voisins, ces étrangers toujours sous la menace.

La prochaine retouche annoncée de la loi sur le séjour des étrangers concernera des aspect partiels mais importants. Le travail a été préparé par un rapport intitulé "Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France", élaboré à la demande du premier ministre. La synthèse de ce rapport évoque, à juste titre, certains états de fait inadmissibles auxquels il faut remédier.
«En ce qui concerne l’accueil en préfecture, le rapport insiste sur la nécessité de tirer un trait définitif sur des situations qui ont pu être constatées jusque dans un passé récent, qui ne faisaient pas honneur à la République (files d'attente de plusieurs heures, altercations à l’ouverture des guichets, journées et parfois nuits passées à attendre sans pouvoir accéder aux guichets, refus arbitraires de prise en charge de demandes de titre notamment).»
Le passé en question est récent, très récent. En témoigne ce dialogue, qui s'est déroulé dans un centre de réception des étrangers à Paris le 15 mai 2013, près d'un an après la prise de fonction du gouvernement actuel.
J'accompagnais deux personnes. Elles étaient 16ème et 23ème dans la queue. Mais les demandes de renouvellement passaient en tête. Entrées à 10h15.
Arrivée à l'accueil avec la première:
- Aujourd'hui nous ne prenons pas les demandes de titre salarié "cinq ans" (ndlr: l'un des profils de la circulaire du 28 novembre 2012).
- Pourquoi n'est-ce pas affiché? (le report au 3 juin des dépôts de demandes de titre de séjour après 10 ans de vie en France était affiché, et le vent en coulis était froid: on aurait pu repartir).
- Parce qu'on nous prévient le matin, par téléphone, alors que peut-on afficher?
- Qui?
- Demandez au ministère.
- Au ministère ou à la préfecture?
(Pas de réponse.)
- On peut voir un responsable?
- Le responsable ne veut plus être appelé.
- Et quand peut-on revenir?
- Dans trois mois.
- Trois mois?
- Ou peut-être cet après-midi. On peut nous dire de reprendre, on ne sait pas...
- Tout ça pour rien?
- Au moins la personne aura la liste des pièces à fournir.
- Mais elle a tout, même la déclaration d'impôt de l'employeur.
- C'est comme ça je vous dis.
J'attends que la seconde soit appelée. Regard rapide sur le dossier: "c'est mal classé, classez et revenez". En effet, la personne avait remis du désordre. On reclasse sur une chaise et on revient.
- Ah! c'est un dossier salarié trois ans. On ne prend pas les dossiers salariés trois ans aujourd'hui.
(Je commence à m'énerver.)
- Montrez. Vous étiez dans le 94 et vos enfants y étaient scolarisés, on ne prendra pas votre dossier à Paris. Je vous donne l'adresse où vous devez vous rendre.
- Vous avez regardé 2010, en 2012-2013 tout est à Paris.
- Pourquoi ne faites-vous pas une demande pour les enfants?(ndlr: autre profil de la circulaire)
- Je suis là depuis quatre ans et pas cinq.
- Il vous faut plus de 20 bulletins de salaire. (ndlr: exigés pour certains profils, alors que sans titre de séjour on n'a pas le droit de travailler)
- J'en ai 28.
- Je vous donne la liste de ce qu'il vous faut.
- Mais j'ai tout, vous voyez bien.
- Oui, mais on ne prend pas les trois ans aujourd'hui. Revenez dans deux mois.
Sorties à 11h45. Sans même une date. Dans la parfaite désinvolture. Sans ma présence la seconde était simplement renvoyée".
Une réforme annoncée, «l’allongement de la durée de validité des titres aura un impact automatique sur la fréquentation des guichets des préfectures. Elle contribuera également à améliorer les conditions de travail des agents des services des étrangers des préfectures, dont le professionnalisme et l’implication, constatés à chacun des déplacements effectués par la mission, doit par ailleurs être salué.»

Une réalité lancinante reste l'étendue du pouvoir d'appréciation des préfets dans l'interprétation de la loi et, plus encore, des circulaires. Par exemple, la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'Intérieur dont il est question dans le dialogue ci-dessus permet, le temps d'une législature, la régularisation de personnes dont le déroulement de vie peut se mouler dans une série de critères. Le ministre de l'Intérieur le répète à l'envi: «La circulaire prévoit des critères stricts, exigeants, mais aussi uniformes, transparents et pérennes pour les étrangers en situation irrégulière.» (Intervention au Sénat, 24 avril 2013).
En effet, les disparités d'interprétation entre préfectures, entre guichets d'une même préfecture ou d'une période à l'autre sont légion. Un témoignage parmi d'autres: "Une convocation en préfecture pour un couple moldave (ndlr: en vue de leur régularisation avec cinq ans de vie en France et leur fille scolarisée depuis trois ans, en application de la circulaire du 28 novembre 2012). Reçus dans le même bureau, en même temps mais par deux personnes. J'accompagnais la dame, son employeuse s'est assise à côté du mari. Pour la dame pas de problème, dossier ok, des chèques emploi service depuis 2011(ndlr: en principe non requis dans le profil invoqué). Lui n'en a pas et du coup on lui demande une promesse d'embauche. (ndlr: même remarque) Il ira la déposer cette semaine. Mais ce qui m'intrigue c'est que l'employée qui le recevait lui a assuré que la circulaire ne concernait qu'un parent par enfant !!!! Et donc lui, si la VPF (ndlr: Vie Privée et Familiale, le type de carte le plus favorable à une vie normale, surtout concernant le travail; c'est la carte prévue par la circulaire pour le profil invoqué) était refusée, ce serait peut-être une carte salarié. Quand je pense que par deux fois dans un autre bureau de la même préfecture on a refusé des dossiers parce qu'un seul parent se présentait !".
Les parades préconisées sont tout à fait partielles et symboliques: rendre public le guide de l'agent d'accueil en préfecture, émettre des circulaires de clarification des procédures, remplacer dans certains articles de la loi l'expression "l'étranger dans telle situation peut recevoir tel titre", par "reçoit tel titre". En attendant, les circulaires du ministre aux préfets restent une séries de suggestions, non d'injonctions.

Martine et Jean-Claude Vernier
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Sécuriser pour rassurer. Rassurer qui? Les étrangers menacés par les duretés de la loi réglant leur séjour? La société française menacée par les étrangers? Deuxième volet des réformettes de 2013, rationaliser l'accueil des mineurs étrangers sans famille. Rationaliser, mais pas forcément améliorer.
A l'issue de la première demi-année du gouvernement élu par la gauche en 2012, on avait déjà compris qu'il n'était pas question de redresser une évolution lente de la loi et des pratiques vers l'étouffement des étrangers qui veulent vivre en France. La loi malthusienne qui exclut les gens d'une vie normale n'a été modifiée que sur quelques points, en partie sous la contrainte extérieure.
Ainsi, l'interdiction partielle de l'enfermement des enfants dans les centres de rétention fait suite à un avis de la Cour Européenne des Droits de l'Homme - enfermement remplacé par une assignation à résidence des familles menacées d'expulsion, ce qui rend plus difficile encore l'accès à leurs droits. L'interdiction ne concerne pas les familles qui ont opposé un refus à une précédente tentative d'expulsion.
Ou la retenue de 16 heures créée pour les personnes sans titre de séjour, la garde à vue n'étant plus possible, depuis un avis de la Cour de Justice de l'Union Européenne: la directive Retour adoptée par le parlement européen en 2008 interdit d'emprisonner un étranger au seul motif qu'il est en situation irrégulière. Selon la demande même du premier ministre, il s'agissait que le ministre de l'intérieur "propose rapidement un texte législatif pour redonner un fondement légal à [son] action" - il y a d'abord l'action du pouvoir exécutif, et le pouvoir législatif doit s'aligner.
Dans le même temps, le gouvernement peaufinait ses éléments de langage en répétant que la politique de l'immigration est sévère mais républicaine et, surtout, apaisée. Qui est apaisé, dans l'histoire? Peut-être l'opinion ainsi manipulée, mais certainement pas la majorité de nos voisins, ces étrangers toujours sous la menace.
Pendant ce temps-là, le record du nombre d'expulsons était pulvérisé: 36822 en 2012! Ce qui amène à proposer un autre élément de langage: "l'immigration est une gangrène, qu'il faut soigner par l'amputation". Oh!...
Et pendant ce temps-là, la situation d'abandon où se trouvent ceux que l'administration nomme les Mineurs Isolés Etrangers (MIE) s'aggrave encore.
Ils sont quelques milliers dans le pays. Leur nombre est évalué à 1700 à Paris, 570 en Seine Saint-Denis, 450 en Ille et Vilaine, beaucoup, aussi, dans le Pas de Calais. Migrants contraints quand ils ont eux-mêmes décidé de prendre leur destin en mains et de venir apprendre un métier, de quoi gagner leur vie et celle de leurs proches, venant de pays où de telles formations sont inexistantes ou inaccessibles; migrants conduits quand ce sont leurs familles qui ont organisé leur départ vers un monde supposé meilleur.
Comme les autres enfants sans famille, ils doivent être pris en charge par les conseils généraux à travers l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE), dont ils sont en droit d'attendre, ce qu'ils obtiennent difficilement, protection et instruction. Instruction qui leur donnera un métier et l'accès à l'autonomie autour de leurs 20 ans.
Bien qu'un démarrage en France sous la protection de l'ASE soit considéré comme un gage de réussite, leur avenir dépendra quand même largement du bon vouloir des préfets à leur délivrer d'un titre de séjour. L'histoire d'Ahmed, l'expulsé du 31 décembre 2012, est là pour nous le rappeler.
Autre histoire, moins dramatique mais terriblement angoissante pour son héroïne involontaire: M. est arrivée en France en 2008 à l'âge de seize ans et demi, elle a eu la chance d'être prise en charge par l'ASE de Paris, qui l'a envoyée à Caen, où elle a vécu en foyer et préparé un CAP "Petite enfance". Ayant obtenu son diplôme, plus le BAFA (Brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur), elle commence à exercer son métier dans le cadre de stages. A 18 ans, comme la loi le stipule, elle dépose une demande de titre de séjour à la préfecture de Caen. Pendant l'instruction de sa demande, elle reçoit des titres provisoires qui l'autorisant à travailler. Mais, avant d'avoir obtenu son titre de séjour définitif - la vie, c'est le changement - elle part vivre en Seine Saint Denis avec son copain. Elle se manifeste à la préfecture pour la poursuite de la démarche. Arrêt des titres provisoires lui permettant de travailler. Le dossier doit revenir de Caen (ça prend des mois). Elle vient régulièrement à la préfecture pour se renseigner sur l'avancement de la procédure. Pendant un an, chaque fois qu'elle vient demander des nouvelles de sa demande, ron lui répond qu'elle est en cours d'examen. Au bout d'un an: "Ah, votre dossier a été perdu!". Obligée de reconstituer et re-soumettre son dossier de demande, elle est prévenue que le servoce croûle sous les demandes et qu'il ne faut pas espérer une réponse avant huit à dix mois. Deux ans de perdus au début d'une vie professionnelle bien préparée, l'interdiction d'exercer un métier appris aux frais de la collectivité, sans parler du découragement et de l'incompréhension de la jeune fille.
L'accueil de ces jeunes est insatisfaisant pour tout le monde. Pour les conseils généraux, une charge financière trop lourde; les associations d'aide aux étrangers déplorent de nombreux manques dans le suivi par l'ASE. Des collectifs se sont formés un peu partout pour leur venir en aide.
Fidèle à sa conception de l'apaisement, le pouvoir va mettre de l'huile dans les rouages, oubliant l'essentiel: l'abus du recours au test d'âge osseux. L'interprétation de radiographies des poignets et des genoux est censée permettre de déterminer l'âge de l'adolescent. Ces tests sont connus pour être très imprécis. L'Académie nationale de médecine considère que les expertises osseuses ne permettent pas de distinction nette entre 16 et 18 ans, la marge d'erreur pouvant atteindre dix-huit mois. Cette imprécision même permet de conclure que le jeune a 18 ans révolus, ce qui entraine qu'il ne relève pas de l'ASE. Il se retrouve seul, sans appui, sans abri, sans formation, promis à l'expulsion et/ou à la prise en charge par des réseaux criminels.
Le jeune peut contester ce résultat s'il possède des documents d'état civil établis dans son pays - s'ils sont jugés authentiques. Encore faut-il qu'il soit un peu informé et aidé pour pouvoir faire ce recours dans les délais.
Le gouvernement va enfin prendre des mesures pour faire cesser ce douloureux scandale. On a appris que les conseils généraux vont recevoir de l'Etat un soutien qu'ils réclament depuis longtemps pour la prise en charge de ces jeunes. Un accord liant le ministère de la Justice et les départements serait en cours de signature.
Une circulaire interministérielle est annoncée, pour organiser le soutien de l'Etat à l'accueil de ces adolescents, et mieux répartir entre les départements la charge de leur protection et accompagnement. L'Etat prendrait en charge les jeunes dans les cinq premiers jours - le temps de faire procéder aux "tests" de détermination de l'âge, dont le jeune a de fortes chances de ressortir "majeur", c'est-à-dire ne relevant plus de l'Aide Sociale à l'Enfance. En effet, il ne semble pas que la pratique de ce test, pourtant si critiqué, soit remise en cause.
Pour ceux qui seront malgré tout reconnus mineurs, ils devront être répartis dans les départements, afin de soulager financièrement ceux où se concentrent les MIE. Cette décentralisation se pratique déjà; l'accord annoncé permettra-t-il une meilleure répartition? Encore faudrait-il prévoir un financement ad hoc, ce qui ne semble pas être à l'ordre du jour.
Si on veut que ce soutien décentralisé conduise le jeune à une véritable intégration, il faudra aussi l'aider à se fixer sur place une fois ses études terminées, avec un travail et un titre de séjour. Pour qu'il ne se retrouve surtout pas en Ile de France, sans papiers, puisque que chaque préfecture a ses exigences.

Martine et Jean-Claude Vernier
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Troisième volet d'une analyse des réformettes de 2013. Après l'impossible harmonisation nationale du traitement des demandes de séjour et la légèreté de la protection des mineurs étrangers sans famille: accélérer le traitement des demandes d'asile.
Le nombre d'étrangers venus demander la protection de la France pour échapper aux dangers qui les menacent dans leur pays est très variable à l"échelle de quelques années. Après un creux au niveau de 30000 demandes en 2006 et 2007, on est revenu au niveau du début des années 2000, avec 60000 demandes en 2012. Depuis 30 ans, le volume des demandes reste compris entre ces deux limites.
Trop souvent, la "gestion" des personnes demandant la protection de la France ne répond pas à leurs besoins les plus élémentaires. A partir du moment où il les reconnaît comme demandeurs d'asile, l'Etat doit leur assurer le vivre et le couvert, en vertu des conventions internationales signées et ratifiées. La rationalisation du dispositif d'accueil en 2009-2010 (RGPP oblige) a conduit à une concentration géographique. Moins audible quand il était dispersé autour des sous-préfectures, le manque chronique de structures d'hébergement a eu des conséquences catastrophiques en touchant des centaines de demandeurs d'asile autour des préfectures de région. En divisant par 12 le nombre de points d'accueil, on fait certainement des économies d'échelle, mais on concentre des groupes plus importants sans pouvoir les héberger.
L'accueil administratif et social de ces personnes est loin d'être satisfaisant. Depuis quelques années la situation est devenue explosive.
En février 2013, la Coordination Française du droit d'Asile (CFDA, rassemblant une vingtaine d'associations et mouvements) a publié un rapport intitulé Droit d'asile en France: conditions d'accueil. Etat des lieux 2012. Le rapport décrit la situation des demandeurs d'asile à la suite des réformes successives de la dernière décennie: "Le résultat, aujourd’hui, est pitoyable : des préfectures de région débordées, des dispositifs 115 engorgés voire bloqués du fait de l’impéritie du ministère en charge de l’asile, des centaines voire des milliers de demandeurs d’asile dépourvus de tout accompagnement sérieux pour l’examen des craintes qu’ils évoquent, des milliers de personnes déboutées, sans papiers, sans droits, et qui ne savent ni comment ni où elles pourraient reconstruire leur vie. Tout cela pour un coût de plus en plus élevé alors que le service rendu aux demandeurs d’asile est de plus en plus défaillant". Le délai d'instruction des demandes d'asile reste de dix huit mois en moyenne.
Les associations proches des demandeurs d'asile réfléchissent aux mesures à prendre pour retrouver une situation digne. Ainsi La Cimade fait des propositions pour une réforme profonde du droit d'asile en France par voie législative. Il est question de proximité et d'accessibilité des guichets administratifs (fin du dépôt de dossier restreint aux préfectures de région), de simplicité et de sécurité des titres de séjour délivrés durant l'instruction de la demande, d'équité avec l'abandon de la liste de pays "sûrs" (les demandes d'asile de ressortissants de ces pays sont traitées plus rapidement et ont moins de chance de déboucher sur l'attribution du statut de réfugié), d'un dispositif d'accueil remodelé pour favoriser l'autonomie des personnes.
Le 4 mai 2013, dans un entretien au journal Le Monde, le ministre de l'Intérieur déclarait "C'est l'honneur de la France de protéger ceux qui, sans son aide, seraient en grand danger. Mais notre système d'asile est à bout de souffle, je ne l'accepte pas. Il faut le réformer". Il est au moins d'accord avec les mouvements d'aide aux étrangers sur l'urgence d'une réforme. Mais l'accord ne va pas beaucoup plus loin.
Le ministre de l'Intérieur évoque sa conception de la réforme à venir de la politique de l'asile.
  • Lancement d’une consultation nationale avec les associations sur la politique de l’asile;
  • Recrutement de personnels supplémentaires pour réduire les délais d’examen des demandes à l’OFPRA et des recours à la CNDA;
  • Réorientation vers la province des demandeurs d’asile trop nombreux en région parisienne;
  • Création de 9000 nouvelles places d’hébergement dont 4000 en CADA (Centre d'accueil de demandeurs d'asile);
  • Intransigeance affirmée concernant l’éloignement des demandeurs d’asile déboutés;
  • Il faut être responsable sur l’ouverture de la liste des pays "sûrs", car "toutes les demandes ne sont pas valables".
Efficacité administrative, rigueur du gendarme, objectifs d'éloignement qui, s'ils étaient atteints, se traduiraient par plus que le doublement du nombre annuel d'expulsions. L'idée directrice est de raccourcir le délai de traitement des demandes, pour éviter que ces gens ne commencent à s'enraciner. Tout en préparant la mise en avant, dans la communication ministérielle, de la concertation et de l'humanité déployées.
Le rattachement de l'Asile au ministère de l'Intérieur au détriment des Affaires Etrangères (depuis l'époque du ministère de l'Immigration) conduit à l'ignorance de toute perspective géopolitique. Quant au devoir de solidarité, il n'en est pas question.

Martine et Jean-Claude Vernier
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On commence à voir comment le ministère de l'Intérieur, chef d'orchestre de la politique de l'immigration, entend gérer la rétention administrative, dernière étape avant l'expulsion de la personne déclarée indésirable. Se profile un rhabillage "respectueux des libertés individuelles" d'une réalité de fond inchangée, l'impératif de l'expulsion pour l'exemple.
En prévision de la prochaine retouche de la loi sur le séjour des étrangers, qui devrait être présentée en conseil des ministres avant l'été, nous revenons au rapport intitulé "Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France". L'un des aspects examinés à la demande du premier ministre concerne les interventions de la justice dans le processus de l'expulsion du territoire.
La situation actuelle résulte des modifications apportées par loi du 16 juin 2011.
- Allongement de la durée maximum de la rétention à 45 jours, au lieu de 32 jours depuis 2003, et 9 jours auparavant. A l'issue de ce délai, si la police n'a pas réussi à expulser la personne elle est contrainte de la relâcher.
Le rapport propose de revenir à la durée antérieure. En effet, si la police aux frontières est en possession du passeport de la personne retenue, l'expulsion est assez rapide. Sinon, il lui faut obtenir un laissez-passer consulaire du pays qui la reconnaîtra comme son ressortissant. Au final, si elle n'a pas réussi à expulser la personne dans les deux premières semaines de la rétention, il y a peu de chances qu'elle y parvienne par la suite. Ces éléments connus de tous n'avaient pas empêché le parlement de 2011 de voter un allongement inutile et coûteux pour l'administration, sans doute pour impressionner. Les consulats ont leur politque dans ce domaine, certains ne souhaitant pas voir expulser des travailleurs qui envoient de l'argent au pays; inversement, il se dit que tel consulat délivre généreusement les laissez-passer, y compris pour des ressortissants de pays voisins.
- allongement de deux à cinq jours du délai d'intervention du Juge des Libertés et de la Détention (JLD), qui contrôle les conditions d’interpellation qui ont conduit à l'enfermement de l'étrangers en vue de son expulsion, et qui peut donc ordonner sa libération immédiate. Ce répit a été exploité avec succès par la PAF (police aux frontières), qui est parvenue en 2012 à expulser xx% des retenus avant ce contrôle de la justice. Le rapporteur hésite sur l'amélioration à apporter au bénéfice de la personne retenue, avec au passage une description pour le moins étrange du rôle du JLD: "... soit pour autoriser [la rétention], soit pour la prolonger sur saisine du préfet; une telle configuration serait très satisfaisante sur le plan des principes, car elle garantirait une protection maximale de la liberté individuelle". Une protection maximale qui oublie d'envisager la libération de l'étranger!
D'après les tableaux statistiques produits dans le rapport, il semble que le retard de l'intervention du JLD ait eu une incidence modeste sur la proportion d'expulsions rapides. Mais elle est probablement responsable d'un "meilleur" taux d'expulsion des personnes retenues: 49% en 2012 contre 43% en 2011. Cela représente quand même un bon millier de personnes que le JLD n'a pas eu l'occasion de faire libérer.
Rassuré sur la faible efficience de ces deux aggravations, le rapporteur préconise de revenir à la situation antérieure avec quelques aménagements, se félicitant ainsi de "répond[re] d’abord à une question de principe : les ressortissants étrangers, en application du principe d’égalité, disposent du même droit que les citoyens". Sans mettre en péril l'efficacité du dispositif, qui devrait être de toutes façons améliorée si les préfets suivent les instructions du ministre de l'Intérieur dans une circulaire du 11 mars 2013. Y sont énumérés un certain nombre de moyens, que nous détaillions dans un précédent billet.
La rétention, c'est l'antichambre de l'expulsion, mais les personnes ainsi amenées à "faire une pause", avec une chance d'en réchapper, ne sont qu'une minorité: en 2012, d'après les chiffres du ministère de l'Intérieur, 9636 sur 36822, soit un peu plus d'un quart. Les trois-quarts restant (si on ose dire) ont donc été expulsés avec une protection de leurs droits que l'on imagine minimale, sinon absente. Expulsions express soigneusement organisées pour enchaîner enlèvement au domicile et conduite à l'avion, parfois affrété tout exprès, retours "volontaires" incités par l'offre de quelques centaines d'euros à des Bulgares ou des Roumains, citoyens de l'Union Européenne non autorisés à rester plus de trois mois s'ils ne travaillent pas, et non autorisés à travailler (jusqu'au 31 décembre 2013).
De ces trois-quarts là, arrachés sans ménagement à leur tentative de construire une nouvelle vie, la révision de la loi ne se préoccupe absolument pas.

Martine et Jean-Claude Vernier

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Dernier billet d'une série pédagogique sur la méthode du gouvernement pour nous faire croire que les étrangers n'auront bientôt plus de problèmes administratifs. On amuse la galerie en habillant de mesurettes une loi qui reste d'airain et dont l'application s'endurcit de jour en jour.
En mars dernier, nous relevions de multiples exemples concrets allant à l'encontre de la proclamation officielle d'une "politique de l'immigration apaisée". Depuis la mi-mai, nous avons passé en revue les graves manques de la préparation de la nouvelle formule d'une politique prétendant "sécuriser les parcours des resssortissants étrangers". Après des accords sur la "sécurisation des parcours professionnels" peu rassurants sur les parcourspersonnels, les communiquants du gouvernement nous resservent la même formule. On ne change pas un mensonge qui gagne. Oui, le mensonge gagne... du terrain.
Dans cette mini-série de billets, nous avons souligné comment
1. harmoniser l'interprétation de la loi par les préfectures relève de la mission impossible, d'autant plus que l'on constate que la circulaire dite de régularisation de novembre 2012 a aggravé le désordre des réponses de l'administration;
2. une rationnalisation de l'accueil des mineurs étrangers sans famille, consistant en une répartition géographique de la pénurie, a peu de chances de remédier à la maltraitance institutionnelle dont ils sont l'objet;
3. les objectifs et les pistes pour accélérer le traitement des demandes d'asile sont purement mécaniques et comptables, sans vision géopolitique ou tout bêtement humanitaire;
4. les propositions pour ramener un peu de droit dans le processus d'expulsion se contentent au mieux d'un retour à la situation de début 2011, tandis qu'il n'est pas question de changer quoi que ce soit aux expulsions express, réalisées en dehors de tout contrôle judiciaire, et qui représentent la grande majorité des reconduites à la frontière.
Pour ce cinquième volet des réformettes de 2013, nous abordons la mesure-phare d'une loi qui devrait être discutée au Parlement en septembre, la création d'un titre de séjour valable trois ou quatre ans.
Selon le rapport préparatoire à cette modification de la loi, du fait de la généralisation actuelle des titres de séjour valables seulement un an, "la grande majorité des ressortissants étrangers [sont] contraints d’effectuer des passages très fréquents en préfecture. Un tel mode de fonctionnement a des effets néfastes tant en termes de qualité de l’accueil que d’intégration. Il contribue à précariser la situation juridique des étrangers, qui doivent se présenter de manière répétée aux guichets, parfois pour obtenir des documents valables quelques mois seulement". Constat amplement confirmé par l'expérience des habitués des services des étrangers des préfectures.
Le titre de séjour le plus exposé à la précarité est celui portant la mention "salarié", qui n'est attribué qu'avec le soutien du patron disposé à embaucher la personne, et l'autorisation, difficile à obtenir, de la DIRECCTE (Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi). Selon la loi, le travailleur ne peut ensuite changer ni de patron, ni de région, ni de métier pendant un an, sous peine de refus de renouvellement de sa carte.
Dans la réalité, certains guichets de préfecture aggravent encore la dépendance du salarié, comme en atteste ce compte rendu d'accompagnement d'un travailleur étranger venu retirer son titre de séjour.
"La carte "salarié" devient de plus en plus comparable au livret ouvrier de jadis.
Une victoire au goût amer aujourd' hui, à la préfecture. Aboutissement de plus d' une année de démarches, et avec un patron derrière plutôt bien disposé. Un récépissé avec double restriction. 1) profession autorisée : agent de service et 2) dans la région Ile de France.
Et puis il faut payer désormais des frais de visa, même quand il y avait visa au départ (mais visa de tourisme, et non d' installation !)
Et puis il a intérêt à rester chez son patron 24 mois au moins et non plus 12, c'est l'agent qui, "gentiment", a mis en garde l'intéressé. Aux deux premiers renouvellements, on vérifiera que le travail se passe chez le même employeur, sinon, on exigera une nouvelle promesse d'embauche (pas forcément facile à obtenir) et la DIRECCTE, à nouveau sollicitée par la Préfecture, n' accordera pas forcément une nouvelle autorisation.
Ce monsieur a des horaires très médiocres, dans le nettoyage (du matin très tôt et tard le soir, d'où de multiples "temps gris") et est très mal payé. Il espérait trouver enfin autre chose, il sait maintenant à quoi s'en tenir".
On attend donc avec impatience ce titre de séjour pluriannuel, sans trop rêver sur ses conditions précises d'attribution. Il semble bien adapté au cas des étrangers venant en France avec un objectif limité dans le temps: études, mission de quelques années. Pour les personnes dans la situation de ce monsieur, qui a l'intention de rester pour vivre et travailler en France, elles ressortissent de "l'admission exceptionnelle au séjour au titre du travail". Pour eux, le rapport précise que "la délivrance du titre pluriannuel pourrait être envisagée (...), les cas de refus de renouvellements des titres étant aujourd’hui rares dès lors que la décision d’octroyer un droit au séjour a été prise (sic, voir ci-dessus); des exigences particulières pourraient néanmoins être requises, pour les étrangers intéressés, en termes d’intégration". Le diable se niche dans le détail: "intégration", un terme fourre-tout à la discrétion de l'administration.
Et puis, attention au laxisme! Il faut quand même conserver la rigueur républicaine: l'introduction de ce titre pluriannuel a aussi pour objectif "de renforcer l’efficacité de la lutte contre la fraude et l’immigration irrégulière : la mise en place du titre pluriannuel s’accompagnera en effet d’un recentrage des contrôles sur les dossiers méritant un examen particulier et de modalités de contrôles renouvelées". La soupçonnite proverbiale des préfectures devra-t-elle encore progresser?

Martine et Jean-Claude Vernier

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