dimanche 11 novembre 2012

Lettre à Angela Merkel




Madame la Chancelière de la République fédérale d’Allemagne, Angela Merkel,

À l’occasion de votre visite au Portugal, je vous demande de bien vouloir faire suivre ce bref message à vos concitoyens :

.  Nous savons qu’au cours de la dernière décennie, vos gouvernements vous ont dit qu’il vous faudrait sacrifier une partie de votre salaire afin d’assurer la survie de votre État providence. Ils vous ont dit, et vous les avez crus, qu’en faisant une croix sur une petite partie de vos revenus, votre pays deviendrait “plus compétitif” et pourrait ainsi économiser suffisamment pour continuer à verser vos retraites et les allocations de vos enfants.

.  Nous savons que ces dix dernières années n’ont pas été faciles pour vous et que votre pays est devenu moins agréable et plus inégalitaire. Nous savons aussi que l’objectif recherché a bel et bien été atteint. Que l’Allemagne est devenue « plus compétitive », qu’elle a beaucoup exporté, qu’elle a moins importé et pour moins cher, et que sa balance des paiements a enregistré d’importants excédents, accumulés dans vos banques.

.  Nous savons aussi – mais peut-être ne le savez-vous pas parce que vos dirigeants ne vous le disent pas – qu’ils ont converti ce capital accumulé dans vos banques, faute de meilleure alternative, en prêts à taux d’intérêt avantageux accordés aux banques du sud de l’Europe, et notamment aux banques portugaises. Cet argent a été à nouveau prêté – à grand renfort de publicité - à des familles du sud de l’Europe dont les salaires ont eux aussi été gelés, mais qui aspiraient à avoir une maison, une voiture et un mode de vie similaire au vôtre.

.  Notre économie, soumise à la concurrence mondialisée qui réussit si bien à vos entreprises exportatrices, a stagné. Toutefois, les prêts accordés par vos institutions financières via les banques portugaises ont permis à nos familles d’avoir accès à des biens de consommation, dont beaucoup provenaient de vos entreprises exportatrices. Pendant un certain temps, cette situation a paru convenir à tout le monde.

.  En 2008, quand les bulles financières ont commencé à éclater, vos banques ont compris qu’elles ne pouvaient pas continuer à prendre autant de risques. Elles ont mis fin aux prêts accordés aux banques du sud de l’Europe et même aux États. Si l’Union européenne n’avait pas décidé qu’aucune institution financière ne ferait faillite, chargeant ainsi les États de renflouer les banques, nous aurions assisté à la faillite généralisée tant des banques débitrices que des banques créancières. Mais l’UE a décidé que les gouvernements allaient « sauver » les banques et qu’ensuite, elle-même se chargerait de sauver les États, avec l’aide de la BCE et du FMI. C’est ainsi que vos banques, qui avaient accordé des prêts à des taux défiant toute concurrence, au-delà de tous les critères de prudence, se sont sauvées elles-mêmes de la faillite. Et c’est ainsi qu’elles ont pu continuer à facturer les intérêts de la dette et à se faire rembourser. Autrement, elles auraient fait faillite. Vous ne le saviez peut-être pas, mais les prêts accordés à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal sont en réalité une dette imposée aux peuples de ces pays afin de « sauver » vos banques.

. 
Peut-être ignoriez-vous aussi que jusqu’à présent, vos gouvernements, c’est-à-dire vous tous en tant que contribuables, n’avez pas versé un seul euro pour le « sauvetage » de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Jusqu’à maintenant, votre gouvernement a donné des garanties à un fonds européen qui émet des titres de créance quasi à taux zéro afin de prêter ensuite à un taux de 3 ou 4% aux pays « secourus ».

.  Peut-être ne le savez-vous pas, mais cette situation pourrait rapidement changer. L’austérité imposée en échange de ces prêts est en train de dévaster les pays que l’on tente de « secourir », au point qu’ils ne pourront plus payer le service de la dette. Arrivés à ce stade, tout le monde perdra beaucoup d’argent, y compris les contribuables allemands.

.  Peut-être l’ignorez-vous, mais en fin de compte, tous les efforts que vous avez fournis au cours de la dernière décennie pour construire une Allemagne « compétitive » capable d’engranger des excédents budgétaires, tout cela peut partir en fumée en un clin d’œil. Après tout, vos excédents, ce sont nos déficits, et les crédits accordés par vos banques sont nos dettes. Vos dirigeants devraient savoir qu’une économie est un système à part entière et que l’économie de la zone euro ne fait pas exception. Quand les parties impliquées dans un système tentent d’obtenir des avantages aux dépens des autres, le résultat pour l’ensemble du système et pour chaque partie ne peut être que désastreux.

.  Peut-être ne le saviez-vous pas, mais vos dirigeants vous trompent depuis bien longtemps.

Pardonnez-moi, Madame Merkel, si ma missive laisse transparaître une pointe d’amertume. Je ne suis pas capable de le dissimuler : le spectacle de nos peuples dressés les uns contre les autres est pour moi chose insupportable, surtout lorsqu’au final, nous faisons face au même problème, à savoir que les financiers dirigent, en accord avec les gouvernements – le vôtre et le mien – en fonction des intérêts d’1% de la population. Des tragédies passées me reviennent en tête, qui à notre époque devraient être inconcevables. J’espère, Madame Merkel, que vous serez d’accord avec moi sur au moins un point : il faut absolument éviter un tel retour en arrière.

José Maria Castro Caldas


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