mardi 27 novembre 2012

Ami, entends-tu / les cris de / l'étranger / qu'on malmène?



Enfermés par la police qui veut les garder sous la main pour organiser leur expulsion, brusquement bannis de la vie normale qu'ils avaient cru pouvoir vivre, malgré le non consentement de l'Etat à leur présence, ils ont été plus de cinquante mille à subir la rétention administrative en 2011 - et sans doute autant en 2012.

Selon l'AFP (21 novembre 2012), "sept étrangers en situation irrégulière se sont évadés dans la nuit de mardi à mercredi du centre de rétention administrative (CRA) du bois de Vincennes, à Paris. (...) Ces immigrés, dont la nationalité, l'âge et le sexe n'ont pas été précisés, sont parvenus à forcer une porte arrière du CRA moins surveillée que d'autres". Ces sept personnes ont fui la promesse d'expulsion qui motivait leur enfermement. Elles sont forcément identifiées par la police. Si elles sont reprises, ce sera le passage en correctionnelle, une condamnation à la prison et, à la sortie, encore l'expulsion - c'est la double peine.

Reprenons le fil du communiqué de l'AFP. "Ce CRA, situé dans le 12e arrondissement de Paris, avait brûlé le 22 juin 2008 lors d'émeutes ayant éclaté au lendemain de la mort d'un ressortissant tunisien, décédé selon les autorités d'une crise cardiaque. Une cinquantaine de personnes avaient profité du sinistre pour prendre la fuite. (...) Les responsables de l'incendie - trois Maliens, deux Marocains et un Palestinien - ont été condamnés en appel en janvier à des peines allant de six mois à deux ans et demi de prison ferme".

En mars 2011, c'est le CRA du Canet, à Marseille, qui avait brûlé. Les étrangers retenus avaient été transférés à Nîmes mais, comme l'ndique le site Millebabords, "sur l’ensemble des retenus transférés lors de l’incendie du Canet, très peu auront été libérés". On ne va quand même pas admettre que le fait d’incendier un centre de rétention devienne un moyen pour les retenus d’obtenir leur libération...

Toujours selon l'AFP, "Les CRA ont été créés en 1984 par le président François Mitterrand qui voulait mettre un terme aux rétentions illégales pratiquées dans les années 70 dans les commissariats, les prisons, voire dans des hangars comme au port de Marseille". En même temps que cela pérennisait le dispositif, les personnes retenues se voyaient un peu mieux traitées, puisqu'une assistance juridique pour l'accès à leurs droits est depuis lors assurée.

Ces statistiques sont tirées du Rapport 2011. La rétention administrative des étrangers un bilan critique qui appelle une réforme urgente publié par les cinq associations présentes dans les CRA, qui ont comptabilisé plus de 64000 expulsions, soit 33000 depuis la métropole et 31000 depuis les départements d'Outre Mer. Cependant, "en métropole, un quart des personnes étrangères placées en rétention à compter de juillet 2011 ont été éloignées avant le cinquième jour d’enfermement, c'est-à-dire avant d’avoir pu voir le juge judiciaire. En Outre-mer, le contrôle des juges relève de l’exception". Eh oui, la modification de juin 2011 de la loi sur les étrangers a justement été faite pour cela: avant juillet 2011, c'était dans les deux jours que le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) statuait sur la légalité de l'interpellation qui avait conduit l'étranger en rétention, depuis juillet 2011, la police a cinq jours devant elle pour expulser l'étranger avant le contrôle du JLD. Cette modification de la loi a plutôt bien fonctionné: en comparant les deuxièmes semestres de 2010 et 2011, on constate un triplement de la proportion d'expulsions avant intervention du juge. Les statistiques montrent en outre que ce progrès "légal" est renforcé par l'amélioration de la rapidité d'exécution. En effet, les expulsions réalisées en moins de 48 heures passent de 8% à 12%. Un gain de compétitivité remarquable, dont ont fait les frais beaucoup de Tunisiens - la révolution tunisienne a levé les empêchements à l'émigration et beaucoup sont partis tenter leur chance ailleurs - et les Roumains, ces citoyens européens qui n'en ont pas tous les droits. Sans oublier Comoriens, ces étrangers si proches voisins de Mayotte.

En 2011, un toal de 51385 personnes ont été enfermées dans un CRA, pour une durée maximale de 45 jours, alors que la quasi totalité des expulsions se font avant le 17ème jour. Le Rapport des associations détaille longuement (p. 38 et suivantes) les dégâts dans la vie des personnes retenues: perte de son travail suite à une absence inopinée, traumatisme de la séparation d'avec sa famille, impact psychologique d'un enfermement brutal et mal compris. "D’un centre de rétention à l’autre, un même constat s’impose, le maintien en rétention contribue à détériorer l’état de santé physique et moral des personnes retenues qui, souvent, ont du mal à comprendre le rapport entre leur situation administrative et le traitement qu’elles subissent. La plupart des manifestations de désespoir vont avoir lieu lorsque la personne a épuisé toutes les voies de recours qui s’offraient à elle. L’espoir fait alors place à l’abattement ou à la révolte. L’allongement de la durée de la rétention de 32 à 45 jours contribue à accentuer les différents troubles dont les personnes retenues sont l’objet".


Les automutilations, tentatives de suicide, grèves de la faim font partie de l'ordinaire de ces lieux.

"Il est constant que des personnes retenues, sortant de prison, nous disent qu’il faisait mieux vivre en détention.

L’inactivité va bien souvent entraîner également des troubles du sommeil. Ces troubles du sommeil sont notamment dus à la situation de stress et d’incertitude à laquelle la personne est confrontée. La localisation de certains centres vient parfois accentuer ces troubles (nuisances sonores dues à la proximité des pistes d’aéroport) tout comme la conception et les pratiques dans certains CRA : claquement des portes, alarmes, chambres mal insonorisées, réveil au milieu de la nuit pour être embarqué… La promiscuité contribue également à renforcer les troubles du sommeil rencontrés par les personnes retenues. Ainsi, dans certains centres, les personnes sont quatre voire six par chambre. Ces problèmes de sommeil conjugués au stress de l’enfermement et l’incertitude vont entraîner l’utilisation fréquente d’anxiolytiques".

Témoigner vers l'extérieur de leurs conditions de vie est une façon de continuer à exister socialement quand même. Or, il est un droit qui n'est pas enlevé aux retenus: celui de téléphoner et de recevoir des appels sur les cabines téléphoniques du CRA. A l'autre bout du fil, des personnes amies qui ont entrepris de recueillir et faire connaître ces témoignages. Un site internet en propose à qui veut savoir.

En voici quelques autres, recueillis à Vincennes, où l'association présente pour l'aide juridique aux retenus est l'ASSFAM (Association Service Social FAmilial Migrants).

"Ca se passe mal, c’est le stress. Moi ça fait 22 ans que j’suis là, j’aime trop ici. Y’a beaucoup de cas ici, dernièrement un monsieur qui est français il avait oublié sa carte, ils l’ont ramené ici, y’a l’ASSFAM ils ont contacté sa famille pour ramener sa carte après il a été libéré. J’sais pas comment ça se passe, s’ils ramènent beaucoup de monde. Y’a des gens qui sont sympas, y’a des gens qui sont pas biens, y’a des gens qui provoquent, c’est comme dehors, donc on fait avec quoi".

"Avec la police c’est toujours le bordel ici, tout le monde est stressé, y’a des provocations, c’est ça hein. Mais quand même ça se passe. C’est comme dans une prison, c’est pareil. Tu peux pas manger, tu peux pas dormir bien. Le matin ils vont chercher une personne, ils vont réveiller tout le monde avec le micro, en tapant sur la porte. Y’a pas de playstation pour jouer là, y’a pas de ballons, y’a rien. Tu peux pas manger, même la nourriture tu peux pas manger. C’est la merde, tu peux pas manger. Le médecin il va donner à tout le monde des médicaments pour éviter les bagarres. Mais quand vous êtes malades... on va mourir ici ! ".

"Franchement ici c’est pas un centre, c’est un hôpital psychiatrique presque. Ca je te le garantis. Parce que l’infirmière elle donne des médicaments à tout le monde, elle donne des cachets chelous à tout le monde wallah. Quand les gens rentrent ils sont normaux, et quand ils sortent ils sont fous. C’est pas qu’elle les oblige, mais y’a des gens ils ont jamais pris de cachets déjà, tu vois ce que je veux dire. Ca veut dire ils viennent de temps en temps, elle leur donne des cachets. Les cachets tu les prends un premier jour, un deuxième jour, après c’est bon ça devient un manque, tu vois.".

"Il y a beaucoup d’arrivants, vraiment beaucoup, on est deux par chambre et il y a des sortants aussi. On nous confisque nos portables qui ont des caméras et appareils photos. Y’a l’ASSFAM qui aide les gens qui viennent d’arriver pour les aider dans leurs droits, le problème c’est qu’au tribunal on est tous rejetés.

Moi ça fait 22 ans que j’suis en France, ils m’ont rejeté, on m’avait arrêté le vendredi, ils m’ont amené ici un samedi et le mardi je suis passé au tribunal, donc j’avais pas les preuves qui montraient que j’étais depuis 22 ans en France… J’ai donc téléphoné à l’association qui s’occupe de mon dossier et ils m’ont faxé tous les papiers dont j’avais besoin. J’ai un suivi médical aussi à l’hôpital, eux aussi m’ont faxé un papier comme quoi je suis suivi là-bas depuis 7 ans, j’ai des problèmes de tension artérielle, même le médecin ici l’a remarqué. Maintenant j’ai presque tous les papiers qui peuvent me représenter et je dois retourner au tribunal dans 20 jours. Je suis allé chez le Juge des Libertés et de la Détention et c’est là-bas que j’ai pu parler un tout petit peu mais ils m’ont demandé des preuves. Je les ai rassemblées et je compte les amener là-bas dans 20 jours… ".

"On dirait on a fait un crime. Si on a débarqué ici, c’est qu’on n’est pas là par hasard. Jusqu’au bout, même quand t’as plus que trois heures avant de sortir ils jouent sur le moral. (...) Franchement c’est abusé, ils jouent sur le moral, ils font des trucs c’est pas bien comme ça, on est sous pression. Jusqu’à maintenant j’ai pas vu le consul moi. Y’a pas que moi y’en a plein qui ont pas vu le consul. J’espère qu’on va sortir et qu’on va pas rester ici quand même". (ndlr. si la police n'a pas le passeport de la personne à expulser, elle doit présenter la personne à son consulat pour obtenir le laissez-passer qui pemettra sa reconduite à la frontière de son pays d'origine)

"Tout le monde travaille. S’ils vont chercher les sans-papiers tout Barbès ils vont rentrer chez eux hein, tout le monde est sans papiers ici. Si on gagne de l’argent on va dépenser de l’argent aussi, on est comme ceux qui ont des papiers sauf qu’on peut pas rentrer chez nous, t’façon on va dépenser de l’argent ici, on va acheter des trucs, sans-papiers c’est pas un handicap quand même".

Des manifestations de solidarité sont organisées à l'extérieur du CRA: "On entendait la manif’ mais vite fait, on est loin, on est loin t’as vu, mais on l’entend quand même. Ils ont pété les plombs ici, ils voulaient brûler le centre, ils voulaient s’échapper mais y’avait des flics partout. Ils sont toujours là, ils sont six je crois, à part dans l’accueil, ils sont six qui se baladent dans le centre, aller-retours tu vois.

On m’a dit que y’avait plus que 150 policiers dehors, plus que les gens de la manifestation. Ici y’a pas moyen de s’échapper, y’a des barbelés, tu sais quoi, ils sont branchés avec l’électricité, dès que tu les touches t’es cramé mec. Moi je pense que c’est interdit tout ça, en plus y’a des détecteurs de mouvements, des caméras... (...).

C’est un plaisir pour nous qu’il y ait des gens au dehors qui pensent à nous, ça fait du bien quoi". 
Martine et Jean-Claude Vernier

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