mardi 3 avril 2012

Les syndicats n'ont pas le droit de faire de la politique ?

Après les chômeurs et les immigrés, Nicolas Sarkozy affûte sa stratégie des boucs émissaires en désignant à la vindicte les défenseurs des salariés.


Diviser pour mieux régner et reporter la faute sur les victimes sacrificielles de sa politique est un classique du président sortant. Des responsables ainsi désignés, Nicolas Sarkozy déploie un rideau de fumée visant : 1) à le dédouaner de ses propres responsabilités; 2) à cacher/protéger ses complices, caste dominante et endogène pour laquelle il œuvre avec zèle; 3) à escamoter les vraies causes des dysfonctionnements d'un système que lui et ses amis cautionnent car il leur assure prospérité et privilèges, quand bien même serait-ce au détriment de l'intérêt général.

A trois semaines du premier tour, le président-candidat n'a plus rien à perdre et poursuit la même stratégie. Après avoir tenté de dresser le peuple contre «les immigrés», délinquants et terroristes potentiels qui viennent bouffer le pain des Français, après avoir tenté de dresser les classes moyennes contre «les assistés», les Smicards contre les chômeurs et autres allocataires du RSA, le voici qui tente de liguer les travailleurs contre les organisations qui les représentent, en les accusant de «confisquer la parole des Français».

A ses yeux, les syndicats de salariés «n'aiment rien tant que l'immobilisme» parce qu'en ayant été «rétifs» à ses réformes, ils l'auraient mis en difficulté... Dans la société rêvée de Nicolas Sarkozy, les syndicats et autres «corps intermédiaires» sont des obstacles qui ne devraient plus exister : ainsi, il aurait les mains totalement libres pour parfaire sa besogne au service de l'oligarchie.

Immobilisme, ou résistance ?

Il est facile, en effet, accuser d'immobilisme la vache rétive qui, sentant qu'on la mène à l'abattoir, refuse d'avancer.Or, les citoyens vache-à-lait sont de moins en moins bêtes : ils ont bien compris que toutes ces «réformes» vendues par le président sortant, ses ministres et les chantres du système comme autant d'impératifs incontournables, ne sont aucunement des avancées mais de terribles reculs. Et le fait de refuser la régression sociale et l'austérité n'est pas de «l'immobilisme» mais un premier acte de résistance.

Alors que s'achève une mandature dont l'une des grandes caractéristiques aura consisté à s'asseoir sur le dialogue social et à mépriser les syndicats — qui, forcément, l'ont mauvaise; y compris l'intriguant François Chérèque qui semble regretter d'avoir pactisé avec l'ennemi (quoique…) —, Nicolas Sarkozy se venge en tentant de leur faire porter la responsabilité de ses échecs. Et, clou du spectacle, il les accuse de «faire de la politique», comme s'ils n'en avaient pas le droit.

Car si on écoute Nicolas Sarkozy, la politique est une chose réservée à l'élite, et certainement pas à la plèbe... Il l'a d'ailleurs prouvé maintes fois, notamment en 2005 lorsque les Français ont dit «non» au Traité de Constitution européenne alors qu'ils auraient du dire «oui», ces cons. Mais Nicolas Sarkozy, qui affirmait il y a peu vouloir davantage consulter les Français par référendum malgré ses trahisons démocratiques, n'est pas à une contradiction près (car en principe, plus c'est gros, plus ça passe).

Pourtant, tout est politique !

Le peuple français est réputé pour aimer la politique, en tous cas s'y intéresser davantage que d'autres. Dès qu'il a la possibilité de s'emparer d'un débat, le peuple français (y compris ceux qui s'abstiennent par refus d'un système biaisé ou par sentiment d'impuissance) est très réactif. Contrairement à ce qu'on voudrait lui faire croire, le Français est conscient que tout est politique : il le sent, ou alors il le sait. Chômage, emploi, éducation, santé, pouvoir d'achat… derrière des impératifs économiques sans cesse agités autour de ces sujets, il sent, il sait que tout ce qui le concerne au quotidien est conditionné par des décisions politiques.

Et quand, dans la marche actuelle du monde, on lui agite la soi-disant impuissance du politique face à la dictature de la finance, on lui ment. Car le politique est toujours présent : c'est même lui qui continue de donner son aval aux catastrophes en marche, en toute discrétion.

Outre le fait de nous faire croire à leur impuissance, les moins démocrates de nos gouvernants veulent nous persuader que la chose politique ne nous concerne pas, qu'on ne doit pas s'en mêler. Dans le pire des cas, que «la gauche» et «la droite», c'est du pareil au même. Le message distillé est : "Laissez-nous faire, nous savons mieux que vous ce qui est bon pour vous". Ainsi invite-t-on le bon peuple à ne pas faire de politique tandis que la politique, elle, s'occupe de lui, et violemment.

A ce stade, l'accusation de Nicolas Sarkozy à l'encontre des syndicats est une escroquerie intellectuelle. On peut certes les critiquer pour leur collaboration plus ou moins marquée avec le pouvoir, l'inefficacité de leurs promenades digestives, voire leur sélectivité quant à la défense de certaines catégories par rapport à d'autres. Mais oser dire qu'ils n'ont pas le droit de «faire de la politique» alors que l'existence même du salariat — et de l'ensemble de la population — est bel et bien conditionnée par des choix politiques, c'est vraiment un comble !

SH

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