lundi 12 mars 2012

Sarkozy, le populisme en version européenne




« Ici, à Villepinte, notre marche commence. Dressons-nous, battons-nous, rassemblons-nous, et faisons gagner Nicolas Sarkozy pour la France et pour la République ! »
Il est un peu moins de 13 heures, dimanche, au Parc des Expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis). François Fillon joue les chauffeurs de salles jusqu'à en perdre sa voix, pour le « chef ».

Le premier ministre vide ses dernières cartouches pour tenter de redresser la barre d'une campagne, qui, pour l'instant, peine à décoller (lire notre article et notre parti pris). Toute la semaine, ce grand meeting national a été présenté comme celui de la dernière chance pour l'UMP. Pour faire émerger le candidat, il fallait renouer avec les grands-messes sarkozystes de la campagne de 2007. Faire mieux que François Hollande et son rassemblement du Bourget. Faire aussi bien que l'intronisation de Nicolas Sarkozy, le 14 janvier 2007, porte de Versailles (vidéo ici). « Vous allez voir ce que vous allez voir ! », avait promis, samedi, un conseiller au QG de campagne.



Sur la forme, l'UMP a confirmé son professionnalisme en matière de grand rassemblement. Un hall de 46 000 m2 plein à craquer (60 000 personnes selon Copé, un chiffre largement contesté étant donné la capacité de la salle : 30 000 places). Des dizaines de gigantesques écrans. Une marée de drapeaux tricolores. Devant, un carré VIP inaccessible, où l'on y aperçoit people (Christian Clavier, Gérard Depardieu, Emmanuelle Seigner, Enrico Macias, Jean d'Ormesson) et responsables politiques (Jean-François Copé et Edouard Balladur entourant Carla Bruni, le couple Balkany, Bruno Le Maire). Au loin, un cercle blanc lumineux pour accueillir le « président » devant un écran de 120 mètres. Sur les côtés, en lettres blanches sur fond bleu, le slogan : La France forte.

Dans la salle, les jeunes populaires avaient enfilé des t-shirts Les jeunes avec Sarkozy et NS 2012. Des dizaines de TGV avaient été affrétés par l'UMP. Mais le parti présidentiel avait pris soin de faire le ménage parmi les militants montés dans les cars à destination de la capitale. Ainsi, à Tours, des militants sarkozystes opposés à Guillaume Peltier ont été interdits en dernière minute de meeting, comme l'a raconté Mediapart.

Pendant quatre heures, responsables et élus de la majorité, personnalités et people se succèdent à la tribune. Le patron de l'UMP Jean-François Copé, le vice-président de l'UMP Jean-Pierre Raffarin,les ministres Alain Juppé, Valérie Pécresse, Nadine Morano (cantonnée à une brève apparition à 11 heures), David Douillet, les anciens candidats Christine Boutin, Hervé Morin et Frédéric Nihous, l'ancien secrétaire d'Etat Jean-Marie Bockel, le président de l'Asssemblée nationale, Bernard Accoyer, le secrétaire général adjoint Marc-Philippe Daubresse, les porte-parole Jean-Christophe Lagarde et Guillaume Peltier. Une absence de taille : celle de Jean-Louis Borloo, représenté par les radicaux André Rossinot et Laurent Hénart.




A la tribune, Bernadette Chirac vient « exprimer (son) soutien sans faille » à Nicolas Sarkozy et expliquer que, « oui, en dépit de ce que nous entendons dire ici et là, nous sommes confiants ». Gérard Depardieu lui succède : « Je n’entends que du mal de cet homme qui ne fait que du bien. Je le soutiendrai en toutes circonstances. » 
Puis Jeanette Bougrab, secrétaire d'Etat à la jeunesse : « Moi, Jeannette Bougrab, fille de harki, je vote Nicolas Sarkozy », dit-elle en citant plus tard Hélie Denoix de Saint Marc, (ancien déporté et officier putschiste en 1961 en Algérie, condamné à dix ans de détention criminelle etdécoré par Nicolas Sarkozy).


« C'est le peuple de France qui veut être entendu et en a assez qu’on parle en son nom »


Point commun de toutes ces interventions : la déclinaison d'une dialectique médias parisiens contre peuple. « Il se trouve qu’à Paris, le petit monde des commentateurs a décidé que l’élection était déjà jouée, lance ainsi Jean-François Copé. Sifflets massifs de la salle. À Paris, on se laisse intoxiquer par les sondages. À Paris, les éléphants sur le retour se partagent déjà les places. » « Il sera réélu par cette immense majorité silencieuse qui n’en peut plus de l’impunité médiatique qui protège le candidat socialiste depuis six mois », assène le patron de l'UMP.

Commençant toutes ses phrases par « le président de la République que je connais... », François Fillon pointe lui aussi du doigt les médias : « Après cinq années de présidence, il se présente tel qu’il est, sans fioritures, sans artifices. Nicolas Sarkozy n’est pas l’homme qu’on vous décrit à longueur d’éditoriaux à charge. J’ai vu ses doutes secrets. (...) j’ai vu les blessures qui lui ont été infligées. »

Une mise en scène sur mesure pour la démonstration à suivre de Nicolas Sarkozy. Quatorze heures, Henri Guaino, son conseiller spécial, clôt son intervention : « Le fils d’une femme de ménage qui n’a pas oublié d’où il venait ne serait pas resté un seul instant auprès d'un président des riches. » La musique se lance, grave, solennelle. « On dirait le générique de Des racines et des ailes », fait remarquer notre voisine.

Nicolas Sarkozy surgit d'une des travées. Il ne fend pas la foule, il est seul, au milieu de l'allée et serre des mains au travers des barrières. La salle hurle : « Nicolas, Nicolas !» Après cinq minutes, le voici sur le rond central lumineux. « Je me souviens de ce mois de mai où les Français m’ont choisi comme président de la République. C’était hier, c’était dans mon cœur il y a cinq minutes. A l'instant même, j’ai senti sur les épaules le poids de la charge, de la fonction, des responsabilités. Je n’ai pas eu peur, je m’étais préparé. Je savais qu'il y aurait des tempêtes (...). Mais je n’imaginais pas ce soir-là combien la réalité allait dépasser mon pressentiment » (voir l'intégralité du discours en vidéo ici).


*

Le Nicolas Sarkozy 2007 aurait pris un bain de foule, remercié à la tribune son parti de lui avoir fait confiance et rabâché le « nous ». Le candidat de 2012 multiplie les « je », ne se mêle pas au peuple mais l'invoque à tous bouts de phrases. Finis les « j'ai changé », il enchaîne les « j'ai appris que... ». Dans un discours d'une heure (disponible en pdf ici), le candidat de l'UMP se pose en chef populiste face au peuple. Plus rien n'existe : ni les « syndicats », ni les « organisations », ni les « corps intermédiaires », accusés – pour «certains», dit-il –, d'être responsables des « vrais blocages »du pays en voulant maintenir leur « influence » et « l'immobilisme », dans leur « intérêt ». Ni les partenaires européens à qui il lance une série d'ultimatums.


« Le président de la République doit rendre au peuple la parole quand elle est confisquée, tranche-t-il. Je solliciterai l'avis des Français par référendum chaque fois que quiconque essayera de parler en son nom en fonction d’intérêts qui ne seraient pas ceux de la nation tout entière. »





Nicolas Sarkozy a d'abord récité les classiques. Il a fait l'éloge de  «la valeur travail » et tapé sur « les 35 heures (qui l')ont sapée ». Dénoncé les « parachutes dorés pour les chefs d'entreprise » et les« bonus invraisemblables de la finance ». Demandé que « le tricheur, le fraudeur soit puni car il vole l’argent des Français qui ont besoin de la solidarité nationale ». Montré du doigt« l'assistanat qui rapporte davantage que le travail », « le bénéficiaire d'une allocation qui ne cherche ni travail ni formation », « l'étranger qui vient en France pour le seul attrait de nos prestations sociales ». « Ce n’est pas un camp contre l’autre », assure-t-il, c'est « le peuple de France qui veut être entendu et en a assez qu’on parle en son nom ».

Il évoque la crise économique et sociale. Il le redit, « la France a résisté, n’a pas été emportée comme tant d'autres. Elle a tenu ». Il met à nouveau sur la table son « devoir de vérité » et se pose en président protecteur : « Pendant cinq ans, j'ai fait de mon mieux pour protéger les Français de toutes ces crises, j'y ai mis toutes mes forces, je me suis engagé comme jamais. (...) J'ai tout donné. »


« Je veux réconcilier l’Europe du "non" et celle du "oui" »




Mais dimanche, à ces couplets déjà connus, le candidat UMP en a ajouté un autre pour parfaire sa stature de leader populiste : l'Europe, à laquelle il a consacré plus de la moitié de son discours. « Mon projet pour la France, c’est mon projet pour l’Europe, je ne fais pas de différence, a-t-il lancé. Je veux réconcilier l’Europe du “Non” et celle du “Oui”, la France du “Non” et celle du "Oui", ça me paraît tellement plus logique que de parler de la France de gauche et la France de droite. »

« L'Europe doit reprendre son destin en main, sinon elle risque la dislocation », a-t-il expliqué. Sa proposition phare : menacer de suspendre la participation de la France aux accords de Schengen, qui régissent les flux migratoires dans l'Union européenne. « Les accords de Schengen ne permettent plus de répondre à la gravité de la situation, ils doivent être révisés. (...) Il faut une discipline commune dans les contrôles aux frontières, a-t-il déclaré. (...) Si je devais constater que dans les douze mois qui viennent il n'y avait aucun progrès sérieux dans cette direction, alors la France suspendrait sa participation aux accords de Schengen jusqu'à ce que les négociations aient abouti » (vidéo ci-dessous).




Même ultimatum pour l'adoption d'un Buy European Act, sur le modèle du «Buy American Act», qui permettrait aux entreprises produisant en Europe de bénéficier de l'argent public européen lors des appels d'offres : «Si dans les douze mois qui viennent aucun progrès sérieux sur l'exigence de la réciprocité avec nos principaux partenaires n'était enregistré, alors la France appliquera unilatéralement cette règle jusqu'à ce que les négociations aboutissent. » « Libre échange oui, concurrence déloyale, non », martèle-t-il, en récusant le terme de « protectionnisme ».




Les deux idées ne sont pas nouvelles. En avril 2011, Nicolas Sarkozy avait déjà réclamé, avec Silvio Berlusconi, « des modifications » des accords de Schengen. Quant à la proposition d'un Buy European Act, Christine Lagarde l'avait formulée au printemps 2011. Mais dimanche, le candidat UMP s'est, par ces ultimatums érigés en mode de gouvernance, inspiré des grands leaders populistes européens. Ces leaders qui ont tout entrepris pour entrer dans une Union européenne qu'ils dénoncent avec force à coups de déclarations fracassantes et de menaces, invoquant constamment le peuple.

Ainsi de l'ancien président polonais Lech Kaczynski, conservateur, nationaliste et auteur de plusieurs coups de théâtre sur la scène européenne. En 2007, il s'était distingué par son obstination à bloquer l'adoption d'un traité constitutionnel simplifié destiné à supplanter le Traité de Nice. En 2009, il a longtemps rechigné à ratifier le Traité de Lisbonne déjà approuvé par le parlement polonais. Ainsi aussi du président tchèque Vaclav Klaus ou encore du leader hongrois,Viktor Orban.

« Je vais être attaqué, mais je m’en moque, j’ai dit la vérité, car c’est ce que chacun pense », a justifié Nicolas Sarkozy, en fustigeant « les intellectuels qui se regardent dans un petit miroir ». « Laissez-les mentir, se parler entre eux, nous avons autre chose à faire, cet autre chose, c’est le peuple de France ». « Si la France n’agit pas, il ne se passera rien ! », a-t-il répété, en se présentant en sauveur.

Enfin, le candidat UMP a annoncé « la deuxième étape de la rénovation de nos quartiers » : « Je n'ai aucune leçon à recevoir d'une gauche qui a laissé les banlieues dans un état lamentable à la fin des années 90. C'est la gauche qui a abandonné les quartiers, c'est la gauche qui a laissé tomber les habitants des quartiers, c'est la gauche qui a voulu la paupérisation et le communautarisme dans ces quartiers. » « Ces quartiers » dans lesquels le chef de l'Etat ne se rend plus depuis des mois.

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