lundi 26 mars 2012

La France, ce paradis fiscal inconnu




Ils vont partir ! Depuis plusieurs semaines, les conseillers fiscaux multiplient les alertes et les avertissements : les familles fortunées françaises sont sur le chemin de l’exil fiscal. Les dernières annonces de la campagne électorale ne peuvent que les pousser à abandonner la France : d’un côté, François Hollande propose de taxer à 75 % les revenus supérieurs à un million d’euros, de l’autre, sur le modèle des États-Unis, Nicolas Sarkozy veut créer un impôt sur les revenus du capital pour les exilés fiscaux, en leur demandant de s'acquitter auprès du fisc français de la différence entre l'impôt payé à l'étranger et ce qu'ils auraient eu à verser en France. Comment ne pas percevoir cela comme une déclaration de guerre contre les riches ?, dénoncent, les uns après les autres, les experts fiscaux.


« Mais, pourquoi partiraient-ils ? La France est un paradis fiscal »,dit, un rien provocant, Olivier Riffaud. Il ne déplaît pas à cet ancien inspecteur des impôts, devenu avocat fiscaliste, d’être à rebours des discours convenus sur le sujet. Pour lui, parler de l’enfer fiscal français relève d’un lieu commun erroné. « Il n’y a que trois pays en Europe qui ont un impôt sur la fortune : le Luxembourg, la Suisse et la France. Il faut se poser la question de cette similitude », relève-t-il, avant de poursuivre : « C’est la caractéristique de pays qui ont des points communs qu’on ne veut pas s’avouer ». 

Cette remarque inattendue rejoint un peu le constat fait par le Syndicat national unifié des impôts (SNUI) devant la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux hors de France. Le SNUI a réalisé une étude sur les assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), les seuls qui puissent être concernés puisqu’ils ont encore du patrimoine en France. Selon cette étude syndicale, à peine une personne sur 1 000 quitte la France chaque année. Sur les 4 milliards que rapportait l’ISF avant son réaménagement, la perte liée aux exilés fiscaux représenterait à peine 18 millions d’euros.

Selon Olivier Riffaud, la pression fiscale en France est bien moindre que ce qui est traditionnellement admis. Et pas seulement pour les milliardaires, comme la Cour des comptes l’a relevé à maintes reprises. «En gros, un ménage qui a 3 millions d’euros de patrimoine et 600 000 euros de revenus, et qui a une pression fiscale supérieure à 20 %, est juste mal informé et mal organisé », soutient-il.

Le droit fiscal, selon cet avocat, est conçu de telle sorte qu’à un certain niveau de patrimoine et de revenus, il est tout à fait possible d’avoir accès à des solutions très avantageuses. Les allégements fiscaux adoptés à partir de la fin des années 1990, comme les mesures telles que le bouclier fiscal votées sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ont certes abaissé la fiscalité. Mais, à croire Olivier Riffaud, de nombreux moyens sont en place depuis bien plus longtemps. « L’essentiel des dispositifs existe depuis près d’un siècle. Il s’agit de faire un bon usage du droit des affaires et du Code civil », dit-il.

Mais cela passe, selon lui, par une approche totalement différente des revenus. « Il faut choisir entre un gain immédiat, mais fortement fiscalisé, et un gain différé à fiscalité diminuée », explique-t-il. Et de décliner tous les avantages du droit des sociétés, qui permettent de créer des structures, soumises à l’impôt sur les sociétés, mais qui obligent à accumuler le capital et les revenus plutôt que les distribuer immédiatement. Les gains relèvent alors d’une fiscalité avantageuse de seulement 33,3 % , et qui a en plus l’immense mérite d’être d’une très grande stabilité. Elle n’a pas bougé depuis 1992.

Pour certains, cela peut paraître encore trop lourd. Ils ne veulent rien payer du tout. « Curieusement, les gens ne contestent pas leurs notes de téléphone, qui peuvent être très élevées, mais s’indignent contre les impôts. Quand on voit pourtant le nombre de services offerts grâce aux impôts, on devrait se dire que ce n’est pas cher payé », relève l’expert fiscal.

De toute façon, relève Olivier Riffaud, ceux qui choisissent l’exil fiscal finissent malgré tout par payer des impôts. « Ceux qui partent sont souvent des gens mal informés qui n’ont pas mesuré les conséquences de leur choix », dit-il. Selon lui, la Suisse n’est pas le paradis fiscal que l’on croit. « Les contraintes sont énormes. Il n’est pas possible de mener la moindre activité. Et le taux d’imposition est de 45 %, c’est assez élevé. Il y a des Suisses qui viennent s’installer en France pour payer moins d’impôt », s’amuse-t-il.

Quel que soit le pays choisi, l’exil se révèle pesant, d’après ses expériences : il faut passer plus de la moitié de l’année hors de France, justifier tous ses retours. « Cela finit souvent par des divorces. Où est le gain alors ? », insiste-t-il. « Et puis, on oublie d’autres données qui se révèlent importantes au fil des ans. Comme le dit le Mexicain dans les Tontons flingueurs : “Pour le carbure, l’Amérique c’est bien. Mais question de laisser ses os, il n’y a que la France” », raconte Olivier Riffaud.

Pour le fiscaliste, la situation assez privilégiée de la France n’est pas prête de changer : la concurrence fiscale qui existe en Europe pèse sur tous les choix politiques. Dès lors, il juge les dernières mesures proposées par des candidats à la présidentielle comme de simples effets d’annonce sans lendemain. « L’imposition à 75 % pour les revenus supérieurs à un million s’inscrit dans une symbolique politique qui peut être vécue comme une sanction contre les riches », note-t-il.

Quant à la réforme proposée par Nicolas Sarkozy, elle relève, selon lui, de la supercherie. « Elle est inapplicable, car trop compliquée à mettre en œuvre. Il faudrait repasser des conventions fiscales avec tous les pays, imposer aux bi-nationaux de choisir leur nationalité, etc. Cette annonce a juste l’intérêt pour Nicolas Sarkozy d’enterrer l’exit tax(impôt officiellement adopté à l’été 2011 dans le cadre du plan de rigueur gouvernemental – ndlr) mais qui n’a toujours pas de décret. À la fin, il n’y aurait plus rien », prédit-il en jugeant la proposition « pitoyable ».

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