dimanche 25 mars 2012

Immigration, expulsions: «Cette France-là» évalue les préfets



Que vont-ils devenir ? Non pas les sans-papiers interpellés, enfermés et expulsés, mais les préfets qui ont décidé de leur sort et ont fait preuve d’un zèle particulier au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy.

En cas d’élection à la présidence de la République, François Hollande, le candidat du PS, a prévenu qu’il allait « remettre l’État républicain à sa place », en référence aux hauts fonctionnaires « liés » à l’« État UMP ». « Aucun de ceux qui aujourd’hui exercent des responsabilités et qui sont loyaux n’ont à s’inquiéter, mais, en revanche, ceux qui sont liés à ce système auront forcément à laisser la place à d’autres », a-t-il insisté le 19 février 2012. En réaction, le président-candidat, Nicolas Sarkozy, a crié à l’épuration allumant un contre-feu aux huées qui l’ont accompagné lors de son déplacement à Bayonne.

Sans-papiers & préfets, la culture du résultat en portraits et Xénophobie d’en haut, le choix d’une droite éhontée : avec ces deux livres à paraître aux éditions La Découverte le 22 mars 2012, Cette France-là, association composée de chercheurs, de militants et de journalistes, poursuit son projet engagé depuis cinq ans ; à savoir, proposer un « inventaire raisonné » de la politique d’immigration tout en donnant à voir ses effets, via des portraits de sans-papiers, et en plaçant les préfets face à leurs responsabilités.

Plutôt que de cantonner les grands commis de l’État à la fonction de rouage d’une machine administrative, le propos est de détailler leurs faits et gestes et de les confronter aux visages et aux vies qu’ils bouleversent.

« Si l’on commence à lire ou entendre les noms des sans-papiers, pourquoi les préfets resteraient-ils anonymes ? » s’interrogent les auteurs, parmi lesquels le philosophe Michel Feher et le sociologue Éric Fassin qui publie, en parallèle, Démocratie précaire, chroniques de la déraison d’État, également à La Découverte. Le plus souvent, l’identification de la politique d’immigration se réduit aux ministres à la manœuvre.

Brice Hortefeux, Éric Besson, Claude Guéant, « tour à tour, chacun d’eux se sera identifié à cette fonction, qu’on aurait pu croire ingrate, sans doute plus qu’à aucune autre de sa carrière : tous auront été durablement habités par un rôle qui les a marqués d’une encre indélébile. Qui connaît M. Besson ? Désormais, tout le monde, ou presque, sous les traits d’un ministre de l’immigration. Et de même pour ses prédécesseurs et pour son successeur ».

À l’heure du bilan pour Nicolas Sarkozy et d’une éventuelle alternative à la tête de l’État, Cette France-là refuse de ne demander des comptes qu’aux ministres. « Les préfets ne sont nullement irresponsables », martèlent les auteurs. Et pour cause, le président de la République, quand il était ministre de l’intérieur, en 2006, a accru leurs marges de manœuvre en supprimant les régularisations de plein droit au bout de dix ans au profit de la pratique du “cas par cas”. En individualisant les situations, il a renforcé leur pouvoir discrétionnaire. En même temps, en instaurant une “culture du résultat”, il les a incités à régulariser le moins possible et à expulser le plus possible.


Des textes de loi mis en œuvre jusqu'à l'absurde

Christophe Bay. 
Injonctions contradictoires ? Pas pour Christophe Bay, le préfet de l’Aube nommé en mars 2011. Depuis son arrivée, « Troyes vit au rythme des arrestations de sans-papiers. Il n’est pas une semaine sans que les associations locales de cette ville soient sollicitées pour aider une personne menacée d’expulsion ».

Sa spécialité ? Expulser aussi vite que possible les personnes en situation irrégulière pour éviter les recours : « En repoussant à cinq jours l’intervention du juge des libertés et de la détention lorsqu’un étranger est placé en rétention administrative, la nouvelle législation lui a notamment permis d’expulser sans délai, dès la rentrée de septembre, une famille d’origine serbe vivant à La Chapelle-Saint-Luc : celle-ci montait dans l’avion moins de vingt-quatre heures après son arrestation au centre d’accueil pour demandeurs d’asile où elle résidait. »


Michel Bergue.
Les préfets ont des objectifs à remplir et se font sermonner lorsqu’ils ne les atteignent pas. Michel Bergue est à l’abri des réprimandes. Il n’a pas été préfet, mais, en tant que secrétaire général de la préfecture du Loiret de 2005 à 2010, il s’est distingué par ses méthodes aux marges de la légalité. Ce département où les reconduites à la frontière sont fréquentes, est considéré par les associations de défense des droits des étrangers, comme un« laboratoire de la politique migratoire de Nicolas Sarkozy ». Expulsions sans attendre l’avis du tribunal administratif, documents présignés, courriers non datés, telles sont quelques-unes de ses pratiques, selon Cette France-là qui rappelle le cas de Najlae, une lycéenne qui a fait l’objet d’une procédure d’expulsion après s’être présentée à la gendarmerie pour porter plainte contre son frère qui l’avait violemment battue.

Christian Lambert. 

Christian Lambert, le préfet de Seine-Saint-Denis, ne risque pas non plus d’être rappelé à l’ordre par l’actuel gouvernement, lui qui a anticipé le discours de Grenoble sur les Roms en ordonnant l’expulsion des habitants du Hanul, le plus ancien campement en France, situé à proximité du Stade de France. Les appels de Nicolas Sarkozy en juillet 2010 à « mettre un terme aux implantations sauvages de campements de Roms » l’ont conforté puisqu’il a enchaîné avec Tremblay-en-France et Bobigny.



« Le 31 août 2011, rappelle Cette France-là, la police de Seine-Saint-Denis est allée jusqu’à utiliser une rame de tramway, spécialement affrétée par la RATP, pour évacuer un campement où vivaient 150 Roumains et Bulgares. Encadrés par les forces de l’ordre, plus d’une soixantaine de Roms sont ainsi montés dans le train, avec bagages et enfants, pour rejoindre Noisy-le-Sec où les attendaient “six camionnettes de CRS, cinq véhicules légers et des policiers municipaux”, témoigne Gilles Garnier, maire adjoint de la ville. » « Ce déplacement de population par voie ferrée, ajoutent les auteurs, a suscité une vive polémique, rappelant à certains de sombres souvenirs de collaboration entre les préfectures et la SNCF. »

Éric le Douaron 

Autre “super-flic” proche du président de la République, Éric Le Douaron est devenu préfet de l’Isère sous les auspices du discours de Grenoble. Mais c’est sur les étudiants étrangers qu’il s’est particulièrement illustré, pour avoir été l’un des premiers à appliquer la circulaire relative à la « maîtrise de l’immigration professionnelle », qui prévoyait de limiter les possibilités de recrutement de diplômés. Parmi d’autres, un ingénieur d’origine libanaise, Amro Al Khatib, en a fait les frais. Son employeur, Air Liquide, l’a licencié lorsqu’il a appris que son autorisation de travail avait été refusée.


Pour quelle raison ? Selon la préfecture, le bassin d’emploi comptait 58 ingénieurs… français au chômage. « Ainsi, quelque temps avant que la députée UMP Brigitte Barèges ne vante la préférence nationale en matière d’emploi, la préfecture de l’Isère l’applique déjà dans son département », souligne Cette France-là. Grâce à la médiatisation et au soutien de l’entreprise, l’administration est revenue sur sa position.

Éric Le Douaron est aussi connu pour multiplier les mesures d’éloignement à l’encontre des familles, notamment celles qui sont déboutées du droit d’asile. Les textes de loi sont mis en œuvre jusqu’à l’absurde, comme en témoigne l’histoire des Ajredinovski-Todorova, qui ont été enfermés avec leurs trois enfants en décembre 2011 au centre de rétention administrative (CRA) de Lyon-Saint-Exupéry. Mais alors que la mère, bulgare, devait être expulsée vers la Bulgarie, le père, macédonien, était destiné, de même que ses enfants, à un renvoi vers le Danemark, en application du règlement de Dublin II.


« Ils sont des centaines de milliers, ça n’a jamais empêché de dormir personne »

Gérard Moisselin
Ancien préfet du Loiret et de la région Centre, Gérard Moisselin, a lui aussi droit à son portrait. Peut-être pour sa franchise : « Vous comprenez sans doute que, pour ce qui concerne les sans-papiers, j’applique les directives du gouvernement ; si je le faisais avec humanité, cela voudrait dire que je n’applique pas les directives gouvernementales », déclarait-il en avril 2010 peu après son entrée en fonction. Cité par LibéOrléans à propos des sans-papiers : « Ils sont des centaines de milliers à ne pas avoir leur situation réglée, ça n’a jamais empêché de dormir personne. »

À quoi faut-il s’attendre si François Hollande est élu ? Cette France-là ne s’avance pas sur ce terrain, mais, selon son analyse, le positionnement de l’opposition au cours du quinquennat a de quoi laisser sceptique.

Alors que le gouvernement, et la droite en général, s’acharnent à faire de l’immigration un “problème” sans que cela semble favorable électoralement au candidat-président, la gauche n’en tire pas parti, s’étonne l’association. « Tout se passe comme si la gauche devenait plus complexée à mesure même que la droite gouvernementale, qui s’est d’abord voulue sans complexes, se révèle proprement éhontée », résume Cette France-là qui regrette que l’opposition se retranche derrière une posture défensive : « Au lieu de suivre la droite sur son terrain, ou de lui abandonner, il est possible pour la gauche de le lui contester en tenant sur l’immigration un autre discours – autrement dit, de s’opposer. Renoncer à la xénophobie politique, ce n’est pas abandonner les classes populaires, comme le suggère un populisme qui les voue au repli sur soi (…). Ce n’est pas seulement une question de principe, mais aussi d’intérêt : il serait temps de tirer les leçons de l’impopularité d’un président qui a tout misé sur la politique d’identité nationale. »

Dans un entretien à Mediapart, François Rebsamen, chargé des questions de sécurité dans l’équipe de campagne de François Hollande, confirme que certains préfets, « ceux qui sont éthiquement en contradiction avec notre politique », seront remerciés. Mais il s’évertue surtout à ne pas apparaître « angéliste », déclarant que « l’immigration peut être une chance, mais aussi un problème », signe que le PS reste pris au piège de ce dilemme.
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