mardi 21 février 2012

Sarkozy s'invente en candidat «anti-élites»



Une campagne «du lundi matin au dimanche soir», «une prise de risque par jour», l’émergence de «nouveaux concepts» pour forcer François Hollande à se positionner, avait-on promis à l’Elysée. Nicolas Sarkozy, nous disait-on, ne va pas se cantonner à trois ou quatre thèmes, comme prévu initialement, mais déclinera finalement «énormément de propositions», comme en 2007. Lui-même ironisait, sur TF1 lors de sa déclaration de candidature, le 15 février, à propos du meeting de François Hollande, à Rouen : «C'était une longue litanie contre moi. Y a pas des idées à mettre sur la table ?» «Dimanche à Marseille, j’ai des choses à dire (aux Français)», avait-il prévenu.

Et pourtant. Depuis son entrée (officielle) en campagne, le candidat UMP n’a aligné qu’une seule proposition, répétée en boucle : le recours au référendum. Un référendum qu’il compte utiliser pour «la question du chômage, de l’indemnisation du chômage et la formation des chômeurs», mais aussi la règle d’or et le droit des étrangers.

Dimanche, pour son premier grand meeting, à Marseille (vidéo ci-dessous), devant quelque 10 000 militants, le président-candidat a fait un discours de près d’une heure. A l’arrivée, deux propositions seulement : l’introduction d’une dose de proportionnelle pour les législatives (réclamée par les «petits» candidats), et la réduction du nombre de parlementaires pour laquelle il veut «engager un dialogue républicain». La première a déjà été émise (par lui-même) en 2007. La seconde est déjà défendue par François Bayrou (déjà en 2007), Dominique de Villepin et Marine Le Pen



«Je suis convaincu qu'un mode de scrutin doit d'abord avoir pour objectif de dégager une majorité capable de gouverner. Je suis attaché au mode de scrutin uninominal à deux tours. Mais réfléchissons ensemble. Est-ce que quand, il y a trente ans, on a fait entrer une partie de l'opposition dans les conseils municipaux, a-t-on affaibli la démocratie locale ? Il me semble qu'on pourrait corriger à la marge ce mode de scrutin», a-t-il dit à Marseille. Le 12 juillet 2007, à Epinal (Vosges), il tenait un discours similaire : «Il y a un débat sur la représentativité du Parlement et sur la proportionnelle ? Je suis pour le scrutin majoritaire qui permet de dégager des majorités stables pour gouverner. Mais au nom de quoi peut-on refuser de discuter de l'introduction d'une dose de proportionnelle à l'Assemblée ou au Sénat qui permettrait d'améliorer la représentativité du Parlement sans remettre en cause le fait majoritaire ? (...) Vous l'avez compris : je souhaite que l'essentiel soit mis sur la table.»

Le 29 janvier, lors de son intervention télévisée sur huit chaînes, Sarkozy n’avait, à nouveau, pas exclu l’introduction d’une dose de proportionnelle. Le candidat UMP, sur cette idée, ne donne aucun calendrier et n’évoque qu’une vague correction «à la marge». Pourrait-elle intervenir avant les législatives de juin ? Mystère. Mais c'est en tout cas un signe clair envoyé au MoDem et au Front national.

Autre incohérence: sur TF1, le 15 février, Sarkozy avait déploré une campagne de basses attaques et insisté: «Je me présente devant (les Français) comme je l'ai toujours fait : en vérité. Ma campagne ça ne sera pas consisté (sic) à dire du matin au soir du mal des autres.» A Marseille, le candidat UMP a pourtant consacré la majeure partie de son discours à parler... de son adversaire, sans jamais prononcer son nom.

Le refrain du candidat «hors système»


Pendant une heure, il a opposé le «nous» (la majorité présidentielle et «le peuple») au «eux» (les socialistes et les «élites»), son«discours de vérité» à «ceux qui font comme si rien de grave ne s’était passé». «Ils ne voudront rien lâcher», a-t-il assené en expliquant – encore et toujours – qu’il souhaitait «redonner la parole au peuple». «Ils ont fait la même chose au géneral de Gaulle en 1962. Lorsqu’(il) a dit que seul le peuple de France pouvait choisir le président de la République française. A l’époque, on a dit qu’il était un dictateur.»

Il a rendu les socialistes responsables des «erreurs» qui ont «été commises» et ont «affaibli la France». Dénoncé les accords d’appareil entre les Verts et les socialistes. Enoncé ses deux contre-vérités favorites – déroulées par lui-même et son camp depuis plusieurs mois : au PS, pas d'économies prévues et une régularisation massive des sans-papiers – ce qui ne figure pas dans le projet de François Hollande. «Mais changer quoi, quand, comment ?», a-t-il raillé dans une allusion au slogan de son adversaire.

Lui-même, pourtant, n'a pas évoqué un début de vision, se bornant à rappeler ses «convictions profondes» et, à nouveau, ses «valeurs» : «Le travail, l’effort, le courage, l’intelligence, les valeurs de responsabilité et d’autorité, (le) sentiment très fort de former une seule et même nation, l’idéal de la République». Cette «vision» pourtant si chère à son conseiller spécial et plume, Henri Guaino, qui affirmait, sur France Inter, au lendemain du meeting du Bourget, ne pas la trouver chez François Hollande. C'est en tout cas chez son adversaire socialiste que Nicolas Sarkozy a trouvé la première phase de son meeting : «Je suis venu vous parler de la France.»

Et le bilan ? «Je mesure ce qu’il aurait fallu faire de mieux, faire de plus. Je ne prétends pas que nous avons tout réussi», concède-t-il du bout des lèvres. Nicolas Sarkozy préfère ponctuer son discours de «si» : «Si ces décisions je ne les avais pas prises à temps, où en serions-nous ? Voilà la vérité. La vérité ne me fait pas peur.» Dans une tirade évoquant la crise financière «de l’automne 2008», puis «la crise économique, la récession», et enfin «la crise de l’euro», il répète : «Nous avons réussi à éviter la catastrophe.» Le message est clair, répété depuis des mois par les snipers de l’UMP : face à cette crise «inouïe», il faut réélire le président sortant.

Pas d’idées, pas de bilan, pas de vision. Mais une étiquette qui lui colle à la peau et dont il lui faut absolument se débarrasser : celle de «président des riches» (que Mediapart a encore pu vérifier lors de ce reportage). Nicolas Sarkozy a décidé de se situer ailleurs.«L’idée centrale de mon projet, c’est de redonner la parole au peuple français», a-t-il annoncé sur TF1. A Marseille, il l'a redit :«Je veux être le candidat du peuple de France et non celui d'une petite élite.»
Le candidat «hors système», un vieux refrain là encore. En 2007, il était le candidat «de la rupture». Lors d'une visite au marché de Rungis (Val-de-Marne), le 1er février 2007, il avait affirmé ne pas être «le candidat du système», se plaçant «du côté du peuple». L’idée du «challenger» est réapparue dans la bouche de Brice Hortefeux en octobre dans Le Figaro et sur RTL le 25 janvier. Mais aussi dans celle de Nicolas Sarkozy lui-même, le 27 octobre, lors d’une intervention télévisée : «Tous les candidats du système ont toujours été battus», a-t-il dit, visant Hollande. Depuis, ce «storytelling» (décrypté en vidéo par Mediapart) se poursuit. Difficile pourtant de faire oublier que la droite est à l'Elysée depuis 17 ans (et lui-même depuis cinq ans).


Un discours avancé de vingt minutes pour concurrencer Le Pen


Le président-candidat s'est lancé dans une course après les électeurs du Front national. Cette logique populiste, il l’a déroulée dans Le Figaro Magazine, le 11 février, avec ses «valeurs» pour la France («travail, responsabilité, autorité») et un virage à droite toute. Il l’a poursuivie sur TF1 quatre jours plus tard, où il ne se présente à aucun moment comme le candidat de l’«UMP». «Y a beaucoup de Français qui ont l'impression d'être dépossédés de leur pouvoir. Y a une France, qui ne croit plus en rien.» «J'ai besoin des Français, de droite comme de gauche», «La droite et la gauche, ce sont des débats du XXe siècle», «Il ne faut pas avoir peur de la parole du peuple».
A Annecy (lire notre reportage), pour son premier déplacement de candidat, jeudi, il s’attaque aux «corps intermédiaires». «J’y ai beaucoup réfléchi, j’ai pu mesurer pendant cinq ans à quel point les corps intermédiaires font écran entre le peuple et le gouvernement.» Il énumère : «Les syndicats, les partis, les groupes de pression, les experts et les commentateurs, tout le monde parle à la place du peuple. Sans jamais se soucier de ce qu’il pense, de ce qu’il décide…» A Paris, samedi, il inaugure son QG de campagne, rue de la Convention, dans le bourgeois XVearrondissement. Un quartier choisi, selon lui, «parce qu'il est peuplé de classes moyennes qu'il veut reconquérir pour remporter un second mandat».

Dimanche, à Marseille, il a consacré son discours à «la France», martelant les «Aimer la France, c’est...» et les «Quand on oublie la France...». A nouveau, il a parlé d’«immigration choisie», des «fraudeurs», des «voyous». A nouveau, il a fustigé «les corps intermédiaires» («Ce ne sont pas les Français qui sont rétifs aux réformes mais les corps intermédiaires qui n’aiment rien que l’immobilisme !»), réclamé «l’autorité du maître à l’école. Du professeur. Du policier, de l’Etat, de la loi», et annoncé la «trame» : «La famille, le mariage». Deux «institutions» qui forment selon lui nos «repères» et notre «identité», une «identité»qu’il ne «(veut) pas sacrifier» «à la mode du moment». Les homosexuels apprécieront.

Populiste ? Nicolas Sarkozy s'en défend. «J’ai bien entendu les cris de ceux qui pensent que je suis populiste. Au fond d’eux-mêmes, ils pensent sans doute que le peuple n’est pas raisonnable, que le peuple n’est pas intelligent et que mieux vaut ne pas demander son avis au peuple.» Comment ne pas penser, cependant, à la rhétorique de Marine Le Pen ? A son slogan, «La voix du peuple, l’esprit de la France» ? A ce «Le peuple toujours, le peuple partout !» lancé le 19 novembre, lors de la présentation de son projet 2012 ?

Le candidat UMP compte bien défier la présidente du FN sur ses terres. Sans jamais la citer, sans jamais dénoncer ses thèses (lire notre enquête). Dimanche, il a pris soin d’avancer de vingt minutes son discours pour faire de l’ombre à Marine Le Pen et la clôture de sa convention présidentielle, à Lille. Consigne était donnée de ne laisser entrer aucune pancarte ou autocollant pour laisser apparaître une marée de drapeaux tricolores (lire notre reportage à Marseille). Inhabituel. Ce virage de com a été entamé à l’occasion du tract anti-PS, aux couleurs bleu-blanc-rouge, diffusé en octobre (lire notre décryptage).

«Nicolas Sarkozy pourrait dériver comme Viktor Orban (premier ministre nationaliste) en Hongrie», assène Jean-Luc Mélenchon. Pendant cinq ans, le chef de l’Etat a en tout cas gardé un œil attentif sur la scène européenne et la montée des populismes. Il s’en inspire volontiers dans cette campagne. Et se garde bien de dénoncer la dérive hongroise. L’UMP est elle-même restée bien silencieuse. Ne fait-elle pas partie du PPE, le Parti populaire européen, dont Viktor Orban est lui-même vice-président ?

En attendant, le président-candidat se contente de lancer des ballons d’essais et de prendre le pouls du «peuple». Cette semaine, l’idée d’une réforme du statut de fonctionnaire a «fuité». Selon Les Echos, Nicolas Sarkozy envisageait de proposer une vaste réforme mettant fin au statut actuel – et à l'emploi à vie – pour les nouveaux recrutés de l'Etat. L'Elysée a fermement démenti.

Si la Droite populaire se montre ravie de ce virage à droite, l'aile centriste de l'UMP s'inquiète. Ses représentants attendaient des signes de rééquilibrage après la séquence du Figaro Magazine. Le 13 février, Pierre Méhaignerie (le président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée), fâché, a été reçu par le chef de l'Etat. Le 16 février, dans une lettre ouverte «au candidat Nicolas Sarkozy», les Humanistes demandent que «le projet présidentiel place l’humain au cœur de chaque décision politique». Ils disent avoir «fait part à Nicolas Sarkozy de notre mobilisation contre toutes les formes de stigmatisation de personnes en fonction de leur situation professionnelle, de leur origine sociale ou géographique, ou de leur orientation sexuelle».

Car le projet UMP, synthèse des différentes sensibilités, a été complètement enterré par Sarkozy. Cette semaine, Valérie Rosso-Debord, députée et déléguée générale-adjointe au projet, tentait de minimiser : «Ce n'est qu'une partie de ses propositions ! C'est une première étape, il a surtout parlé de valeurs pour l'instant. Ce qui est important, c'est de rappeler que le socle de valeurs de 2012 est le même qu'en 2007», expliquait-elle à Mediapart. La députée avait pris les devants, en novembre : «Les propositions qui ne seront pas reprises par le chef de l'État pour la présidentielle – notamment celle des 35 heures – pourront faire partie de la plate-forme législative portée par l'UMP à l'Assemblée.» Une manière de ne pas perdre la face.

Autre victime collatérale : Bruno Le Maire. Le coordinateur du projet UMP, qui a brillé par son absence à Marseille, est passé second rôle. Nicolas Sarkozy, lui, a préféré la ministre de l'écologie Nathalie Kosciusko-Morizet (nommée porte-parole), mais aussi le centriste Jean-Christophe Lagarde, Eric Ciotti (député des Alpes-Maritimes et monsieur sécurité de l'UMP) et Guillaume Peltier (monsieur opinion du parti), promus «porte-parole thématiques». Ce dernier, proche du conseiller Patrick Buisson, a fait un passage au Front national et au MNR de Mégret avant de devenir le bras droit de Philippe de Villiers (lire notre portrait et notre enquête). C'est lui qui fut à l'origine de la Droite populaire et de sa charte, proche des thèses du FN. Le ton est donné.
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