vendredi 24 février 2012

Les étudiants étrangers toujours en colère contre Guéant




Aucun effet si ce n’est – celui recherché ? – d’avoir affaibli la contestation : dans une lettre ouverte mise en ligne sur Mediapart (*) , les étudiants étrangers, réunis dans le Collectif du 31 mai, interpellent Claude Guéant pour lui faire savoir leur insatisfaction à l’égard des modifications apportées par le ministre de l’intérieur, le 12 janvier 2012, à sa circulaire contestée du 31 mai 2011.

Pour eux, dans leur vie de tous les jours, rien n’a changé. Plutôt que de «lever les malentendus», le nouveau texte a accru la confusion auprès des services de l’État supposés réexaminer leurs dossiers. Les premiers résultats sont jugés largement insuffisants : une cinquantaine de régularisations sur plusieurs centaines de demandes en suspens.

C’est donc une remise à plat qu'exigent les jeunes diplômés concernés, passant par le retrait de la circulaire initiale, plutôt qu’un replâtrage. «Monsieur le ministre, écrivent-ils, nous persistons à croire que la circulaire du 31 mai est une erreur, qui a causé des torts incommensurables ; ces torts ne seront pas redressés par des demi-mesures. Ce sont désormais des dizaines de pays amis de la France qui s’interrogent, des centaines d’entreprises qui ferment des postes faute de pouvoir les occuper, des milliers d’étudiants étrangers qui se détournent de la France en privilégiant des contrées plus accueillantes et des milliers de citoyens Français qui s’inquiètent pour l’image de leur pays.»

«Parce que le temps presse plus que jamais, et que nous estimons que la circulaire du 12 janvier n’améliore en rien la situation des diplômés étrangers, poursuivent-ils, nous revendiquons l’abrogation pure et simple de la circulaire du 31 mai. Autrement, comment croire à votre bonne volonté dès lors que cette circulaire, qui appelle les préfectures à examiner ‘avec la plus grande rigueur’ nos demandes d’autorisation de travail, reste en vigueur ?»


«Au-delà des enjeux qui nous concernent directement, il y a un autre enjeu qui nous dépasse largement, afférent à la façon dont notre société, en ces temps de troubles et d’incertitudes, se conçoit dans l’altérité. Un enjeu de Civilisation», concluent-ils en référence à la récente déclaration du ministre de l’intérieur sur l’inégalité des civilisations.

Comme ils n’ont jamais cessé de le marteler depuis neuf mois, dans le sillage des travailleurs sans papiers, et auparavant des parents en situation irrégulière d’enfants scolarisés, ils exigent des «critères clairs et transparents». Car ils font doublement face à l’arbitraire : celui des préfectures, qui délivrent les titres de séjour, et celui des services administratifs de la «main-d’œuvre étrangère», autorisant ou interdisant les personnes à travailler.


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« Nos compétences n’ont pas de nationalité »

Sur les 1.100 diplômés recensés par le Collectif du 31 mai, entre 400 et 500 ont reçu un avis favorable, entre 250 et 300 un refus, et les autres sont en attente.

Le rétropédalage du ministre a provoqué un afflux de demandes de réexamen, ce qui mécaniquement a pour effet d’allonger les délais.«La plupart des diplômés étrangers sont en attente d’une réponse depuis six mois, voire un an», indique Jean-Philippe Foegle, membre du Gisti et du collectif, qui observe l’incohérence des pratiques d’une préfecture à l’autre : «Les instructions de Claude Guéant n’ont visiblement pas été entendues, ou n’ont pas été passées. Certaines préfectures, comme celle du Val-d’Oise et du Rhône, refusent le dépôt de demandes de réexamen. À part Paris, aucune n’a mis en place de dispositif spécifique. Partout en France, des OQTF (obligation de quitter le territoire français) sont délivrées.»

«Les procédures sont considérablement ralenties car les préfectures ne savent plus quelles règles appliquer. Le texte du 12 janvier a été rédigé de telle manière, il est si alambiqué, que cela brouille un peu plus les choses», constate de son côté Zineb Es-Skali, du collectif qui vient de diffuser une analyse juridique détaillée.

Malgré les engagements du ministre, une étudiante a été arrêtée à son domicile un matin de janvier et placée en rétention, tandis qu’une autre a reçu une décision d’éloignement alors même qu’elle venait de redéposer son dossier.

«On aboutit, regrette Jean-Philippe Foegle, à un système à deux vitesses, où les quelques régularisations sont obtenues quasi exclusivement par des diplômés des grandes écoles.» L’élitisme de la législation est, de fait, renforcé non seulement par la circulaire du 31 mai, mais aussi par le texte rectificatif.

Quand le ministre réhabilite l’autorisation provisoire de séjour prévue par la loi Sarkozy de 2006 sur l'«immigration choisie», il cible une poignée d’étudiants très qualifiés puisque le dispositif, conditionné à un retour au pays d’origine «après la première expérience professionnelle», est réservé aux titulaires d’un diplôme au moins équivalent au niveau master. Refusant d’être sur un «siège éjectable», les étudiants soulignent aussi que l'attestation à signer conjointement par l’employeur et le responsable de formation favorise les diplômés des écoles les plus réputées où les réseaux et les liens interpersonnels sont prédominants.

Les cas de figure que Claude Guéant met en avant pour faciliter les changements de statut (d’étudiant vers celui de travailleur) sont aussi contestables. Alors que les préfectures sont appelées à prendre en compte «la connaissance approfondie d’un pays, d’une civilisation ou d’une culture étrangère», le Collectif du 31 mai s’interroge: «Est-il besoin de préciser qu’ayant étudié et vécu de longues années en France, et y ayant décroché des diplômes français, nous ne souhaitons en aucun cas être enchaînés à notre condition d’étrangers? Nos compétences n’ont pas de nationalité; demandez-le à ces entreprises qui nous embauchent. Elles savent apprécier nos talents, sans discrimination aucune, au même titre que celles de nos camarades de classe.»

L’enjeu, pour le collectif, est de continuer à se faire entendre à un moment où la mobilisation perd en visibilité, la Conférence des grandes écoles (CGE) et la Conférence des présidents d’université (CPU), moteur dans le bras-de-fer avec Claude Guéant, ayant salué la nouvelle circulaire. Cette lettre ouverte vise ainsi à maintenir la pression sur le gouvernement, dans la foulée de la manifestation du 12 février et des parrainages organisés dans le cadre de la pétition Notre matière grise est de toutes les couleurs. Mais, au-delà des circulaires, se pose inévitablement la question de la modification de la législation façonnée en la matière par le chef de l'État. Il est à prévoir que l’étape suivante soit l’interpellation des candidats à la présidentielle.



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