dimanche 12 février 2012

Laïcité: mobilisation après le vote du Sénat sur les crèches et les écoles



Sur la scène du Cin'Hoche à Bagnolet, Djamila Latreche est formelle.«Jamais je ne signerai un contrat de travail où il est noté que je suis musulmane, jamais !» Assistante maternelle à Nanterre, elle fait partie des nounous directement menacées par la proposition de loi de la sénatrice Françoise Laborde.

Voté discrètement au Sénat le 17 janvier, le texte de l'élue de Haute-Garonne prévoit d'étendre l’obligation de neutralité religieuse aux structures privées en charge de la petite enfance. Si la loi est votée à l'Assemblée nationale, une assistante maternelle qui porte le voile ne pourra plus travailler, sauf à inscrire sa religion sur le contrat qui la lie à son employeur.

Sur la scène du Cin'Hoche.© CLN

Jeudi, le collectif Mamans Toutes Egales, créé en avril 2011 pour lutter contre la discrimination des femmes voilées, tenait un meeting à Bagnolet. Militants, chercheurs, juristes et parents d’élèves se sont succédé pour faire part de leur ras-le-bol. Dans le public, beaucoup de femmes – voilées ou non – et des hommes. La loi « anti-nounous » les a choqués mais elle n'est, pour eux, qu'un pas supplémentaire dans un processus de stigmatisation de l'islam.


Le texte voté au Sénat se base, selon ses auteurs, sur la loi de 1905 dite de séparation de l’Eglise et de l’Etat. « Un contresens », pour Jean Baubérot, professeur émérite de la chaire Histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études.« Neutralité et liberté de conscience ne sont pas incompatibles, maintient-il. La neutralité ne vaut que pour l’Etat. C’est comme dans un match de foot, l’arbitre doit faire respecter les règles pour permettre aux joueurs de continuer la partie, mais il ne marque pas de but. En ramenant la neutralité au sein des foyers, on glisse dangereusement!»

Joël Roman, philosophe et essayiste également invité par le collectif, va dans le même sens. « Il y a une confusion entre la laïcité et la séparation du privé et du public. Penser que la religion est absolument privée est absurde et totalitaire. La laïcité sert de cache sexe a une opération raciste de rejet. »


Des mères privées de sortie

Des dates marquantes hantent le discours des intervenants du meeting. 15 mars 2004 et la loi sur le foulard, 12 octobre 2010 et la loi sur le niqab dite « sur la dissimulation du visage dans l’espace public ». Dans les bouches, il y a des noms qui reviennent. Celui de Claude Guéant. Celui de Luc Chatel aussi. En mars 2011, le ministre de l’éducation avait apporté son soutien à une directrice d’école qui avait interdit à une mère voilée d’accompagner son fils lors d’une sortie scolaire à Pantin.

Anissa Fatih, parent d'élève.© CLN
« Et qu’est-ce qu’on dit à son enfant ? Que l’école ne veut pas de nous ? », s’indigne Anissa Fatih. Elle aussi est privée de sortie à l’école Paul-Lafargue de Montreuil. Mobilisée depuis 2008 avec quatre mères du quartier, Anissa a distribué les copies des mots laissés dans les cahiers des enfants avant les sorties scolaires.


D’un côté, il y a « Madame, Monsieur, mardi 15 novembre 2011 au matin, les classes de CP et la classe de CE1 iront au théâtre des Roches. Pouvez-vous nous accompagner ? Merci. » Dans le cahier de son fils, il y a l’information mais pas d’invitation. « L’école veut bien de nous quand il s’agit de faire des gâteaux pour les kermesses, quand il faut coudre les déguisements pour les spectacles de fin d’année ou manifester contre les suppressions de postes. Mais pour les sorties scolaires, nous ne sommes pas les bienvenues parce que nous portons le voile. »

La loi de 1905 impose la neutralité des fonctionnaires. Celle de 2004 interdit le port de signes ostensibles mais elle ne vise que les élèves du primaire et du secondaire. Permettre aux mères voilées de se porter bénévoles pour accompagner les sorties scolaires relève du bon vouloir des enseignants et des écoles. « A Montreuil, l’école Paul-Lafargue est la seule à ne pas nous accepter », ajoute Anissa. Excédés, les parents d’élèves ont porté leur cas en justice mais le tribunal administratif de Montreuil les a déboutés le 22 novembre 2011. Motif : le port du voile dans ce contexte serait une rupture « de la neutralité de l’école laïque ».

« On a décolonisé les pays, mais pas les esprits »

Echarpe rouge et gros pull blanc, Saïd Bouamama est un des plus virulents au micro. « Depuis 2004, on assiste à l’installation d’une islamophobie d’Etat ». Pour le sociologue, « la colonisation a tordu l’imaginaire des pays colonisateurs. On a décolonisé les pays, mais pas les esprits. Nous avons intériorisé des images biaisées de l’autre et il suffit que les politiciens les instrumentalisent pour les faire resurgir ».

Dans la salle, Mireille Fanon-Mendès France, présidente de la fondation Frantz Fanon, opine du chef en écoutant le sociologue. Pour elle, la stratégie du gouvernement est claire : « Il attise la haine de l’autre pour justifier des opérations extra-judiciaires et masquer le piètre bilan économique, politique et social. »« Les immigrés étaient les boucs émissaires, ils sont devenus les ennemis de l’intérieur », conclut Saïd Bouamama sur une scène ornée de quelques pancartes au nom du collectif.

L’un des écriteaux porte ce slogan : « Droit à disposer de nos corps. » Noémie Lozac’hmeur est bien placée pour en parler. La Grenobloise a fait le déplacement à Paris pour participer au meeting des MTE. Elle a fondé Nous citoyennes, une association qui prône le vivre ensemble et qui, comme MTE, lutte contre l’exclusion des mères voilées des écoles de la République. Drapée d'un foulard marron, la jeune femme se souvient du jour où les sorties scolaires lui ont été interdites.

« Je me suis pris une grosse claque. On remettait en cause mon appartenance à ce pays. Pourtant, je suis française de souche. Le foulard est un vêtement. Est-ce aux autres de choisir comment je dois m’habiller ? » Noémie est une convertie. Pour elle, la stigmatisation des musulmans est évidente :« Quand j’ai commencé à porter le voile, peu avant 2004, j’ai senti le changement des regards. »


Une lettre ouverte aux candidats

A l’avenir, le collectif n’exclut pas de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme. « Nous sommes en campagne, c’est une chance », a souligné Mireille Fanon-Mendès France. Elle a incité les personnes du public à monnayer leur vote aux législatives contre une promesse de saisine du Conseil constitutionnel au sujet de la loi Laborde si celle-ci était adoptée par l'Assemblée. Une mission là aussi difficile tant les partis – y compris ceux de gauche – ont du mal à se positionner sur la laïcité.


Esther Benbassa, au micro.© CLN
Le 17 janvier, la gauche s’est divisée sur le vote du texte « anti-nounous ». La proposition a été adoptée par la totalité des radicaux de gauche à l’origine du texte, la majorité des socialistes et une partie des élus centristes et UMP. Les communistes se sont abstenus et seuls les Verts ont marqué leur opposition. Esther Benbassa, sénatrice EELV du Val-de-Marne, en faisait partie : «J’en ai assez que l’on soit les seuls à s’opposer à ce genre de texte. Il va falloir comprendre que la laïcité n’est pas une religion et que les politiciens ne peuvent pas faire peser un tel soupçon sur l’islam.» 

Jeudi, Christine Poupin était la seule invitée à représenter un parti. Porte-parole du NPA, elle a affiché son soutien et celui d’Olivier Besançenot au combat des Mamans Toutes Egales. De Philippe Poutou, elle n’a rien dit. Les membres du collectif ont décidé d’interpeller tous les candidats en publiant une lettre ouverte.

Claire Le Nestour

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