jeudi 15 décembre 2011

Sarkozy et l’«accord européen»: les dessous d’une supercherie



Faut-il tuer l'Europe pour sauver quelques intérêts de campagnes électorales ? C'est la question qui devrait être désormais posée à Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, au vu des premières conséquences de l'accord européen obtenu le 9 décembre à Bruxelles, accord «de la dernière chance» censé sauver l'euro et éteindre la crise des dettes souveraines. Depuis le début de la semaine, l'euro est en chute libre, les banques européennes sont massacrées en bourse et le gouvernement prépare l'opinion à la perte du fameux triple A (lireici et ici).



Nicolas Sarkozy, le 9 décembre, conférence de presse.© (Elysée.fr)

« Une autre Europe est en train de naître », a proclamé lundi avec emphase Nicolas Sarkozy dans Le Monde (à lire ici). « Les contours d'une véritable union politique commencent à se dessiner », a renchéri Angela Merkel ce mercredi devant les députés du Bundestag. Or quelques jours ont suffi pour montrer que le texte bouclé à Bruxelles n'est qu'une dangereuse supercherie.

Cet accord de principe n'a d'abord que peu de chances d'être traduit dans les formes juridiques d'un « traité intergouvernemental » d'ici mars 2012, comme le veut Nicolas Sarkozy. Il a encore moins de chances d'être ratifié dans les 26 pays membres de l'UE concernés. Il n'en a aucune d'être appliqué « à l'été 2012 », comme le souhaite le chef de l'Etat.

Alors que s'est-il donc passé à Bruxelles ? Plus qu'une énième gesticulation à l'adresse des marchés pour les convaincre de la« détermination » des dirigeants politiques, il s'agit essentiellement d'un hold-up du tandem Merkel-Sarkozy sur les institutions européennes. Pas pour l'Europe, mais pour les seuls intérêts de politique intérieure de la chancelière allemande et du président français. Au passage, la bruyante dénonciation de la Perfide Albion a ajouté à l'effet attendu...

Ce traité doit ainsi être compris pour ce qu'il est : un élément central de la campagne présidentielle de Sarkozy, le moyen aussi de masquer ses reculs successifs face aux demandes allemandes, un gage enfin donné par Angela Merkel à sa majorité conservatrice qui se prépare elle aussi aux législatives allemandes de l'automne 2013.


1.- Un calendrier intenable pour usine à gaz juridique


A lui seul, le calendrier suffit à comprendre la supercherie : en renvoyant la ratification de l'accord à l'après-élection présidentielle, Nicolas Sarkozy sait d'avance que ce traité ne sera pas appliqué ! Que la gauche soit élue, et il sera « renégocié », comme l'a affirmé dès lundi François Hollande. Que Sarkozy soit réélu et la majorité de gauche au Sénat pourra continuer à bloquer une de ses principales dispositions, l'instauration d'une « règle d'or » budgétaire...

Et nous ne parlons là que de la France, sans détailler les prévisibles accidents qui interviendront dans d'autres pays : mercredi, le ministre irlandais des finances a annoncé que le futur traité sera soumis à référendum (à lire ici), ce que voulaient justement éviter Paris et Berlin ! Et nul doute que la Pologne, la Hongrie, la République tchèque sauront faire jouer leur capacité de blocage, sans compter sur David Cameron qui n'acceptera sans doute pas de voir son pays durablement mis à l'écart du processus.

Nicolas Sarkozy et David Cameron.

Ainsi, l'accord à 26, conclu à toute vitesse, n'est pas près d'entrer en vigueur. A Bruxelles, le flou est d'ailleurs à peu près total, sur les manières de traduire ce texte en droit. Puisque les Britanniques sont restés à l'écart, les institutions «communautaires», Commission et Parlement, sont sur la touche. «La commission ne tiendra pas la plume», reconnaît-on sans détour dans les services du président Barroso. L'institution se contentera de veiller à ce que le nouveau texte soit conforme au droit européen. Il reviendrait aux Etats, entre eux, de s'organiser.

Même le calendrier avancé semble très fragile. Une première réunion d'experts, lundi, n'a rien donné. Les services juridiques du Conseil européen sont censés proposer une première version du texte, vendredi ou samedi, qui servira de base aux négociations. Si l'on en croit Nicolas Sarkozy, dans son entretien au Monde, le«contenu juridique» devrait être fixé «dans les quinze jours» – soit aux environs de Noël. A part les Français, personne n'y croit.

Un «traité», en bonne et due forme, sera ensuite rédigé d'ici mars, qu'il faudra encore ratifier, pays par pays. Chaque capitale choisira son type de ratification. En Irlande, le référendum annoncé ce mercredi s'annonce déjà extrêmement périlleux.

A priori, l'«Eurogroup working group», composé, en majorité, des directeurs du Trésor des pays de la zone euro, et qui prépare, depuis des mois, chacun des Conseils européens de crise, pourrait assurer le gros des négociations. Mais ce panel sera sans doute élargi, pour accueillir des représentants des neuf Etats volontaires, qui ne sont pas dans la zone euro. Sauf que le scénario de discussions resserrées au sein du seul club de la monnaie unique n'est pas exclu, pour gagner du temps. Une fois bouclé, le texte pourrait entrer en vigueur une fois ratifié par 90% des membres (pour éviter un blocage de la Slovaquie, par exemple, comme ce fut le cas à l'automne).

Autre élément qui complique singulièrement la donne: rien ne dit que Londres, isolé, donnera son feu vert, pour que l'accord à 26 organise des recours à la Commission et la Cour de justice européenne, deux institutions réservées aux 27... et non aux 26 ! Or, elles sont indispensables à l'application de ce projet de traité puisqu'elles sont censées décider, puis appliquer les fameuses sanctions contre les «mauvais élèves» de la zone.

Pour ne rien arranger, certaines dispositions de l'accord de vendredi, sont d'ores et déjà suspendues, si l'on en croit les notes de bas de page, à l'«accord du Parlement finlandais»... C'est donc un grand marchandage qui vient de s'ouvrir à Bruxelles, dont les règles changent de jour en jour, et qui sape encore un peu plus la crédibilité de l'Union, comme paralysée par la prise de décision.


2 - Un nouveau traité dont on pouvait faire l'économie

Olli Rehn, numéro deux de la Commission européenne, a plombé l'ambiance, dès lundi: «Je déplore qu'en l'absence d'un consensus à 27, il faille en passer par un traité intergouvernemental», a déclaré le commissaire aux affaires économiques. Il s'est surtout efforcé de montrer à quel point les textes adoptés au sein de l'Union, depuis le début de l'année, sur le front de la discipline budgétaire, sont, d'après lui, amplement suffisants. Bref, l'accord conclu vendredi, à 26, serait, non seulement regrettable, mais aussi superflu!


En quatre points, voici le décryptage d'un accord qui se résume à un formidable exercice de communication.



Olli Rehn est revenu, en particulier, sur l'entrée en vigueur, ce mardi, du «6-pack», cet ensemble de six «paquets» législatifs qui renforcent déjà l'«automaticité» des sanctions chères à Angela Merkel. Cinq de ces six textes sont d'ailleurs de simples règlements: ils s'appliqueront bien plus rapidement dans chaque Etat-membre qu'un nouveau traité européen, dont la transposition prendra de longs mois. De la même façon, le «semestre européen», évoqué dans l'accord vendredi (à lire en cliquant ici), et qui doit permettre une meilleure coordination des budgets des Etats membres, est déjà en place... depuis cette année.

Mardi à Strasbourg, José Manuel Barroso a tenu à peu près la même ligne que celle de son commissaire, rappelant «les progrès qui ont été réalisés depuis 18 mois, au sein de l'Union européenne dans son ensemble, à 27, sur la base des traités déjà en vigueur, avec des institutions communautaires à l'initiative». Pour le patron de la Commission, ce traité qui s'annonce à 26 sera redondant avec des textes déjà en place (son discours est à lire ici).

A Bruxelles, depuis l'accord de vendredi, de plus en plus de voix jugent d'ailleurs qu'il n'est pas nécessaire d'en passer par une réforme des traités, si l'on veut encore durcir la discipline budgétaire. C'était la piste, très vite écartée par Berlin, qui avait été avancée par Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, en amont du sommet: le Belge proposait de réécrire un protocole du traité de Lisbonne, pour simplifier les choses, et gagner du temps. Mais les Allemands ont voulu frapper plus fort les esprits. Ils ont encore surtout, jusqu'à présent, ajouté encore un peu plus à la pagaille ambiante.

Le président du conseil, Van Rompuy.


3 - Les dégâts du couple franco-allemand

Mais le vrai danger de cet accord n'est pas que dans les grosses ficelles politiciennes qui pourront être tirées par le président-candidat Sarkozy et par la chancelière Merkel sur leur scène politique intérieure. Il est dans l'affaiblissement supplémentaire de toutes les institutions européennes qu'il ne va pas manquer de provoquer.

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy.

« Nul ne pourra contester le rôle accru ainsi donné aux gouvernements européens », dit le chef de l'Etat. Le danger est justement là : dans l'effacement de la légitimité démocratique de l'Europe. L'équilibre européen s'est historiquement construit sur une double légitimité démocratique : celle des gouvernements, représentants des opinions nationales ; celle de la commission et du Parlement européen, représentants d'une citoyenneté européenne.

C'est l'effacement de cette seconde que le duo « Merkozy » a décidé avec l'accord de Bruxelles, plaçant tout ce qui relève de la « gouvernance économique » (donc de la politique économique et sociale) sous la coupe exclusive de l'intergouvernemental. Or il faut rappeler encore et encore que l'Europe s'est construite par la méthode dite « communautaire » et que les pouvoirs du Parlement européen (certes bien imparfaits) n'ont cessé de se renforcer au fur et à mesure de l'émergence d'une opinion européenne. Depuis 2007, Sarkozy et Merkel n'ont eu de cesse d'imposer leur vision d'une commission européenne chargée de « mettre en musique » et d'appliquer les décisions des gouvernements quand sa mission est justement inverse : prendre l'initiative et impulser de nouvelles politiques communautaires sous le contrôle du Parlement et avec l'accord du Conseil.

Ce mouvement est sur le point d'être brisé net, renvoyant à une mécanique européenne faite de négociations dans les coulisses entre chefs d'Etat et de gouvernement. Nicolas Sarkozy dispose-t-il d'un quelconque mandat pour négocier une nouvelle architecture européenne ? Le parlement français en a-t-il débattu ? Non. Va-t-il débattre et voter sur le projet de traité qui pourrait naître de l'accord de Bruxelles ? Pas plus ! Les électeurs français sont-ils au fait de ces débats ? Encore moins.

Mais il n'est pas certain que ce joli dispositif électoral tienne. D'abord parce que la crise de l'euro se poursuit et qu'une dégradation plus rapide que prévu de la note de la France a toutes les chances de bouleverser le dispositif voulu. Ensuite, parce que le hold-up « Merkozy » sur l'Europe provoque de profondes blessures chez nos autres partenaires, et pas seulement à Londres. Le premier ministre tchèque, par exemple, a déclaré dès mardi qu'il attendait de connaître la version définitive du texte, avant de donner son feu vert (à lire ici).

4 - La machine de guerre électorale de Nicolas Sarkozy

« Je n'ai pas à juger l'opposition... J'ai tant à faire par ailleurs », dit encore le chef de l'Etat au Monde. Et d'ajouter : « Je n'ai nullement cherché à dramatiser lorsque j'ai dit que nous étions au bord du précipice »... On le voit, le président est plus président que jamais et se présentera ainsi devant les suffrages des Français : l'homme qui nous empêche de plonger dans le précipice. La crise européenne est le meilleur argument de campagne de Nicolas Sarkozy. C'est désormais officiel. 






François Fillon a fait mine de s'égosiller, après la promesse de François Hollande, s'il est élu président, de renégocier le futur traité (vidéo ci-dessus). Il est assez plaisant d'entendre le premier ministre juger les critiques de François Hollande « tout à fait irresponsables par rapport aux difficultés que nous rencontrons » et en appeler à « l'unité nationale ». Ce même François Fillon qui critiquait le mois dernier les prévisions de croissance formulées par les instances européennes (largement plus pessimistes que celles de Bercy), qui n'a cessé de s'émanciper des décisions de l'Eurogroupe et qui fut avec Nicolas Sarkozy l'un des co-auteurs de la mise à bas du traité de Maastricht en faisant exploser les déficits budgétaires après 2007...

On peut par ailleurs douter que les marchés prennent très au sérieux la promesse du président français de faire adopter ce nouveau traité, s'ils suivent de près les équilibres politiques français...

Le texte compte en effet parmi ses dispositions majeures, le principe de la «règle d'or», déjà adoptée en Allemagne et en Espagne. Selon l'accord de vendredi, il s'agit de contraindre les Etats à inscrire dans la constitution nationale leur engagement à maintenir leur «déficit structurel inférieur à 0,5% du PIB sur l'année» (contre 0,35% du PIB pour l'actuelle loi fondamentale allemande, lire le détail en cliquant ici). La formule est légèrement moins contraignante que celle proposée, au printemps dernier, par l'UMP, puisque la version européenne, calquée sur le dispositif allemand, exclut des comptes toute variation «conjoncturelle».

Quoi qu'il en soit, Nicolas Sarkozy ne dispose, en France, d'aucune majorité pour faire adopter ce texte qui oblige de retoucher la constitution française. Encore moins depuis que le Sénat est passé à gauche. Au moins trois cinquièmes des élus du Congrès sont nécessaires, pour faire passer le texte. Donc ce «nouveau traité européen» n'a aucune chance d'entrer en vigueur, côté français, avant l'été. Il faudrait alors que la droite remporte, non seulement la présidentielle, mais aussi les législatives dans la foulée.

D'ici là, l'Europe et l'euro ont le temps de couler...


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