jeudi 8 décembre 2011

Pour se sauver en 2012, Sarkozy orchestre «l'union nationale»


«Nicolas Sarkozy commence à comprendre qu'il ne peut pas y arriver seul», glissait Dominique de Villepin auPoint, en septembre. Trois mois plus tard, Nicolas Sarkozy ne cache plus son envie de jouer la carte de«l'union nationale». «La situation est grave, le pays a besoin d’union», a-t-il dit au petit-déjeuner de la majorité, mardi. Le président-candidat mise tout sur une aggravation de la crise européenne pour mieux se présenter en capitaine protecteur par temps de tempête. La seule manière pour lui de gagner n'est-elle pas de promettre un gouvernement d'union nationale? Exit Claude Guéant, (re)bonjour les chiraquiens. Et pourquoi pas Bayrou, en allié de second tour?

Cette stratégie, Mediapart en avait repéré les contours dès septembre (lire notre enquête). L'idée a pris du poids en novembre,avec les chutes de Georges Papandréou en Grèce et Silvio Berlusconi en Italie. Alain Juppé, François Fillon et Bruno Le Maire l'ont défendue, plaidant pour un président rassembleur, qui assumerait un courageux programme d’austérité et imiterait le modèle allemand. Cette semaine, la majorité semble avoir adopté ce refrain de «l'union nationale». Avec un prétexte tout trouvé: lundi, la France a été mise sous surveillance par l’agence de notation Standard & Poor’s.

François Fillon s'y est essayé mardi, à l'Assemblée nationale: «Au-delà des clivages, au-delà des échéances électorales, nous devons afficher une volonté politique commune.» «L'union nationale, ce serait vraiment bien en France», a estimé François Baroin sur itélé, mardi. «Unité nationale» face à la crise, a aussi réclamé Bernard Accoyer, le président de l'Assemblée. L'occasion de remettre sur la table le vote de la «règle d'or» budgétaire et de renvoyer les socialistes à leurs «responsabilités».

La stratégie du grand rassemblement présente plusieurs mérites. D'abord celui de coincer la gauche en l'accusant de jouer la politique du pire si elle refusait un tel gouvernement. Ensuite celui de réintégrer dans le giron de la majorité ceux qui avaient tenté l'échappée en solitaire (François Bayrou, Dominique de Villepin, Jean-Louis Borloo) mais aussi les chiraquiens (et leur électorat). Enfin, elle permet de vanter le bilan de Sarkozy sur la scène internationale ainsi que sa gestion de la crise.

Politique-fiction? Pas si sûr. Depuis la rentrée de septembre, les signaux se multiplient. Quand Angela Merkel se veut rassurante, Nicolas Sarkozy dramatise la situation (lire notre onglet «Prolonger») et joue, sur le conseil des grands patrons l'entourant, la «grande peur» (lire notre article). L'apocalypse permet de justifier un gouvernement de sauvetage, et pourquoi ne pas nommer à sa tête un technocrate ou un technicien?

Après avoir monté son Alliance républicaine, Jean-Louis Borloo s'est retiré de la course présidentielle le 2 octobre, «pour ne pas ajouter de la confusion à la confusion» car «nous sommes dans une crise économique et sociale d'une extrême gravité». Le voici donc à nouveau sur le marché, tout disposé à réintégrer un ministère, lui qui y a passé huit années d'affilée.

Plombé par les affaires et sans troupes, Dominique de Villepin renonce lui aussi à ses ambitions présidentielles – il le dira officiellement le 13 décembre. Pour sortir par la grande porte, il a trouvé la parade: «un gouvernement de rassemblement national»,«au-delà des partis». C'est ce qu'il répète à chaque apparition dans les médias depuis sa relaxe définitive, dans l'affaire Clearstream (par exemple, le 3 septembre dans Libération ou encore le 20 septembresur BFM-TV). Sur son blog, le 13 septembre, il signe d'ailleurs un étrange billet sur deux formes de courage, celle du tigre et celle du cheval, appelant au «rassemblement».



Depuis un mois, l'ancien premier ministre se veut plus explicite encore.«Nous sommes à l'heure de l'unité», décrète-il le 14 novembre en saluant les coalitions en Grèce et en Italie (vidéo à 0'38). Il rend ostensiblement visite à Sarkozy à la Lanterne le 29 octobre et déclare, le 25 novembre, lui avoir pardonné l’épisode Clearstream. Il demande un plan d'austérité d'au moins 20 milliards d'euros porté par un gouvernement d'union nationale qu'il rejoindrait avec allant. Il donne même rendez-vous au président-candidat Sarkozy «le 7 mai», lendemain du second tour (itélé, 28 novembre). C'est Olivier Biancarelli, le conseiller parlementaire de l'Elysée, qui aurait été chargé de jouer les entremetteurs.


Le retour des chiraquiens

Il est un autre responsable politique qui ne passe plus dans les médias sans évoquer la nécessité d'un «esprit d'union nationale»en cette «période exceptionnelle»: François Bayrou (encore mercredi dans Direct Matin, le 1er décembre sur France Info, le 27 novembre dans Le Parisien). Le président du MoDem se veut prophète en matière de dénonciation de la dette et brandit son concept de «majorité centrale» (lire notre entretien). «A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle», a-t-il déclaré mercredi en annonçant sa candidature pour 2012: «Pour gouverner la France en ces temps de tempête, il faut une majorité plus large que les majorités classiques. (...) Il est impératif et inéluctable que pour redresser la France se forme, ouverte à tous les réformistes, d'où qu'ils viennent, une majorité du courage.»

Une «majorité du courage» avec qui? Certains ministres commeClaude Guéant ou Nadine Morano n'ont pas hésité à rappeler que l'ancien ministre de l'éducation de Juppé et Balladur «était très clairement dans (leur) famille politique» et qu'ils comptaient sur son soutien en 2012. A demi-mot, celui-ci reconnaît ce recentrage à droite: «J'ai fait du chemin. La crise financière est là, qui nous oblige à passer par-dessus certains agacements», a-t-il assuré lors de son université d'été, en s'affichant avec Pierre Méhaignerie, vice-président de l'UMP (lire notre reportage et notre analyse). Et puis cette fois, le président du MoDem assure que, si d'aventure il n'était pas au second tour, il s'engagera pour l'un ou l'autre des deux finalistes.

Juppé et Villepin lui ont tendu des perches. Sur France-2, le 29 septembre, le maire de Bordeaux raconte qu'il «aime bien François Bayrou» et «(le) voit souvent». L'ex-leader de République solidaire lui a rendu un hommage appuyé dans un entretien à Libération:«Nous sommes dans une situation d'urgence qu'analyse très bien François Bayrou. Éducation, dette, compétitivité : ce sont des sujets d'urgence.»

Car ce sont les chiraquiens qui ont posé les premiers jalons de cette stratégie d'union nationale. Une partie d'entre eux sont déjà au gouvernement (Alain Juppé, Bruno Le Maire, Roselyne Bachelot, François Baroin), ce dernier a même été promu à Bercy en juin. Le sulfureux conseiller immigration de Sarkozy, Maxime Tandonnet, a été mis au placard, tandis que son conseiller spécial, Henri Guaino, soutien de Chirac en 1995, a opéré un retour en force à la rentrée.

Sur les plateaux télé, dans de nombreux meetings, la plume du chef de l'Etat vient parler de «justice sociale», cite de Gaulle, Séguin, Pasqua, vante «l'humanisme» de Pompidou et Chaban-Delmas. Il prône un rééquilibrage de l'impôt, une taxation du capital, se prononce contre le report à 67 ans de l'âge de la retraite («ce n'est pas l'urgence»), récuse toute coupe dans les dépenses sociales et se refuse à faire du chômeur le bouc émissaire de la crise.

En creux, il critique le virage à droite. Le discours de Grenoble?«Un moment d'émotion», «sur la forme, (...) pas une bonne chose». La circulaire sur les Roms? Une «faute». Le retour au premier plan de ce séguiniste, soutien de Chirac en 1995, n'est pas anodin. Sa critique du procès de l'ancien président de la République (une «procédure qui me met très mal à l'aise (...) me trouble sentimentalement et moralement») n'a certainement pas échappé aux chiraquiens.

Nicolas Sarkozy l'a compris, les troupes chiraquiennes lui seront indispensables pour être réélu. Lorsque Jean-Pierre Raffarin menace de ne plus se rendre aux petits-déjeuners de la majorité à l'Elysée après leur clash sur le relèvement de la TVA sur les parcs à thème, le chef de l'Etat recule.

Les bébés Chirac, eux, rêvent de prendre leur revanche en réinstallant l'Etat chiraquien au sein du gouvernement. Petit indice dans L'Express le 21 septembre. Dans une tribune, Hervé Gaymard, ex-ministre de Chirac, estime que Nicolas Sarkozy «ne pourra gagner en 2012 qu'avec le concours essentiel d'Alain Juppé», «en élargissant grâce à lui un spectre politique trop étroit». Il évoque la «petite musique» de "Bayrou", "Borloo","Villepin"». Et rappelle: «Quand la droite gagne les élections, elle ne les gagne jamais seule. D'abord parce que le mouvement gaulliste a toujours ratissé large. Ensuite parce que le centre, tout ou partie, a toujours été dans la majorité présidentielle sous la Ve République.» En sous-texte, il livre la condition à ce rassemblement: l'abandon d'une UMP «crispé(e) sur les questions d'immigration, de sécurité, d'identité nationale».


Dans le même temps, Alain Juppé est mis en avant comme l'homme providentiel de Sarkozy (lire notre décryptage). Pas moins de deux livres dédiés à l'ancien premier ministre sont sortis en octobre. Les médias notent que le «ministre vintage est redevenu à la mode»et s'interrogent sur ce «retour» qui pourrait devenir un «recours».


Invité de «Des paroles et des actes», sur France-2, le 29 septembre, il fait la promotion de son tandem avec le chef de l'Etat. «Ce qu'il (Nicolas Sarkozy) fait va dans la bonne direction, j'ai décidé de l'aider, sans ambiguïté»; «Il est notre meilleur candidat, je crois que, tous les deux, on fait du bon travail» ; «Ça surprend, mais on s'entend bien», raconte-t-il. Mieux, après avoir été parfois «rivaux», ils sont désormais «des amis», assure-t-il.

Et puis il y a cette scène, rapportée dans le livre d'Anna Cabana (et détaillée dans notre article) : un «rendez-vous au sommet entre Alain Juppé et Dominique de Villepin», à l'initiative du premier, en novembre 2010. On comprend que Juppé a sans doute été mandaté pour raisonner l'ancien premier ministre avant qu'il ne soit entendu comme témoin par le juge Van Ruymbeke dans l'affaire Karachi. Voilà qui expliquerait pourquoi Villepin n'a pas été aussi bavard chez le juge qu'à TF1, quelques jours plus tôt.

Grâce à cette «union nationale», Sarkozy ferait en tout cas mentir ceux qui pensent qu'il est à la tête d'une famille éclatée. Il rassurerait cet électorat modéré qui menace de déguerpir. N'est-ce pas ce qu'il a commencé à faire, à l'UMP? Depuis septembre, il a encouragé la renaissance de quatre «sensibilités» (Droite populaire, Droite sociale, Droite humaniste, Réformateurs libéraux – lire notre analyse). Manière de faire en sorte que la diversité de la droite s'exprime à l'intérieur de l'UMP. Et d’éviter l’éparpillement des suffrages de droite au premier tour.

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