vendredi 30 décembre 2011

Les 7 péchés capitaux du sarkozysme 4 : L'acédie



Nicolas Sarkozy n'y peut rien, il est hargneux. Selon le classement cher à la médecine antique, il est sanguin et bilieux. Puisque Frédéric Mitterrand s'avère flegmatique et mélancolique, le président de la République et son ministre de la Culture incarnent, à eux deux, les quatre tempéraments distingués par Hippocrate.

La prédominance de la bile sur les humeurs de l'actuel hôte de l'Élysée le pousse, dès la moindre contrariété, à broncher comme un cheval, si ce n'est à chauvir des oreilles. Un rictus envahit son visage: il prend l'œil mauvais du garnement assis près du radiateur, au fond de la classe. Le voici redevenu le petit cancre de jadis, humilié à propos de La Princesse de Clèves, par des «sachants» sur lesquels il prend sa revanche.

La culture, pour Nicolas Sarkozy, doit être éradiquée parce qu'elle résiste. Elle n'est tolérable qu'en tant que vernis.

Le président de la République n'est pas issu du livre, mais de la télévision. Il lui est impossible de se décentrer, de se présenter humble et disponible au seuil d'un ouvrage. Il fait partie de ces gens incapables de silence au spectacle. (Dé)formé par le petit écran, il ne saurait se confronter à une œuvre dans le recueillement: il se divertit moutonnièrement et bruyamment, si possible en mangeant. Il ingurgite les nourritures spirituelles et terrestres, tel un boulimique refusant la moindre ascèse, le moindre travail sur soi, la moindre discipline.

Nicolas Sarkozy a transposé, dans le domaine de la direction de l'esprit, l'indifférence à la chose religieuse que le Moyen Âge fustigeait – odieux péché capital! – sous le nom d'acédie. Ce vice des instables a fini, avec les siècles, par passer pour une forme de paresse, au gré des réflexions théologiques, des discours pastoraux et des catéchismes…

Toutefois, gît dans l'acédie cette petite rage originelle, cette petite folie première que personnifie Nicolas Sarkozy; et qui ont disparu de la simple paresse, languide, négligente, un rien désespérée, que symbolise un Frédéric Mitterrand poussant la conscience illustrative jusqu'à se présenter en bras cassé, au début de l'année 2010, après un accident de scooter.


Ministère dans un état d'électroencéphalogramme plat

Nicolas Sarkozy, avant son élection, déclarait devant «les acteurs de la culture», le 4 avril 2007: «Je veux que la culture soit faite pour le peuple. Je stimulerai la création et je rendrai la culture accessible au plus grand nombre parce que c'est une source de liberté, d'épanouissement et de paix sociale.» Le futur président de la République ajoutait même: «Ce que Jean Vilar voulait faire avec le TNP et ce que Malraux voulait faire avec les maisons de la culture, je voudrais que nous le fassions dans les banlieues.»
La grandiloquence volontariste explosait dans la péroraison du candidat, espérant «un nouveau modèle économique», histoire de«permettre que les œuvres soient accessibles à tous, qu'elles soient le plus largement diffusées. Encore cette accessibilité n'a-t-elle de sens que si le besoin d'art et de culture est dans les esprits, que si le goût de ce qui est beau et de ce qui est grand a été transmis».

Assez dit? Acédie. Le couvercle pesa sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis. Content comme tout d'avoir chipé à Chirac sa plume, l'agrégée des lettres Christine Albanel, le président de la République commença par regarder ne rien faire sa ministre de la Culture. La gratuité dans les musées fut abandonnée sitôt que lancée. La fusion RFI-France 24-TV5 Monde au sein d'une Société de l'audiovisuel extérieur de la France fut calamiteusement emmanchée, ainsi que Mediapart l'évoquait, le 18 juin 2008, ou le19 février 2009.

Ce trépidant surplace fut symbolisé par un comité Théodule chargé de réfléchir à l'avenir du livre numérique, dont nous rendions compte le 30 juin 2008: «À l'ère de la souris, la commission Patino accouche d'un rapport.»

L'acédie culturelle virant à la vacuité absolue, le fringant conseiller élyséen Georges-Marc Benamou envisagea de quitter le navire pour s'auto-bombarder à la direction de l'Académie de France à Rome, grillant la politesse à Olivier Poivre d'Arvor qui s'en offusqua publiquement, ainsi que nous le racontions.

Le désastre tournait au désordre, et réciproquement. C'est Frédéric Mitterrand qui fut finalement envoyé à Rome. La villa Médicis s'avéra sur le chemin du ministère de la Culture, grâce à un ascenseur de caste sinon social: Carla Bruni, première dame devenue, mettant son entregent au service d'apparatchiks putatifs dans le besoin (Philippe Val, à France Inter, illustre avec le plus d'éclat de tels coups de pouce féériques).

Le texte de la loi Hadopi et sa gestion par la rue de Valois signa l'arrêt de mort politique de Christine Albanel (promise à un enfer hautement rémunéré à la direction de France Télécom, où devait l'appeler Stéphane Richard, modèle revendiqué de Nicolas Sarkozy pour ce qui est de «faire de l'argent», la seule perspective présidentielle en ce bas monde).

Le 23 juin 2009, dans la foulée des élections europénnes, Christine Albanel est évincée du gouvernement (tout comme Michel Barnier, Rachida Dati, Christine Boutin, Yves Jégo, Bernard Laporte, André Santini et Roger Karoutchi). Frédéric Mitterrand, jugé comme une excellente prise par l'Élysée, la remplace rue de Valois, où il se cramponne toujours, en un ministère dans un état d'électroencéphalogramme plat. Ses débuts, marqués par des cafouillages saumâtres, ont contribué à réduire au silence ce ministre du Verbe, transfiguré en muet du sérail.



Quel bourrage de crâne proposer?

Le je-m'en-foutisme culturel n'a jamais atteint ce comble sous la Ve République. Même M. Giscard, doté d'un surmoi patrimonial, avait davantage laissé libre carrière à ses commis rue de Valois (Michel Guy, Françoise Giroud, Michel d'Ornano, Jean-Philippe Lecat). La culture n'est aujourd'hui qu'un instrument supplétif au service de la mainmise sarkozyste. Celle-ci passe d'abord par la télévision, l'un des fiascos suivis par Mediapart:

Marcel Trillat: «Nous avons affaire à un piège» (24 mars 2008);Télévision: un millier de professionnels se mobilisent pour le service public (3 juin 2008); La télé sans vision de Nicolas Sarkozy (17 juin 2008); Sarkozy offre la tête de la télévision publique à l'exécutif (25 juin 2008); Publicité à la télévision: l'Élysée a déjà réécrit le rapport Copé (25 juin 2008); Le président, une verticale du pouvoir façon Poutine? (26 juin 2008).

À noter toutefois, ce «parti pris» de Sylvain Bourmeau: Télévision: quand Sarkozy joue le rôle d'un homme de gauche (26 juin 2008).

L'échec était pourtant patent: Public-privé: une fixation obsessionnelle sur l'audiovisuel (2 juillet 2008); Serge Regourd: «Un signe d'identification à une télévision d'État» (21 septembre 2008);Jean-Noël Jeanneney: les chausse-trapes de la réforme de l'audiovisuel (26 septembre 2008); Fabienne Servan-Schreiber: «Une occasion gâchée de réinventer la télé» (21 octobre 2008); Le financement de l'audiovisuel public fond comme neige au soleil (19 novembre 2008); Audiovisuel public: une loi volontairement bâtarde(24 novembre 2008).

L'enquête en plusieurs volets de Laurent Mauduit sur «les dessous de la privatisation de la régie publicitaire de France Télévisions»allait être assignée en justice, et celle-ci devait donner raison à Mediapart le 20 février 2010.

Les tuyaux ainsi appropriés par le pouvoir, quel bourrage de crâne proposer, sous couvert de culture, ravalée au rôle de propagande de l'idéologie voire du sens commun de la faction qui nous gouverne? Le pire advint, que suivit de près Mediapart et dont vous trouverez l'essentiel dans cette note de synthèse: le funeste feuilleton de l'identité nationale (1er décembre 2009). Sans oublier Jacques Bainville, le virus dans la République (5 décembre 2009). Ou Jean-Pierre Rioux: «Armer électoralement une mouvance politique» (13 décembre 2009). Ou encore Jean-Luc Nancy: «Une identité, c'est comme une vie, une mutation» (4 février 2010).

Le piège était tendu, dans lequel semblait pouvoir tomber une partie du peuple de gauche: La vérité est dans le terroir, ce si vieux refrain de nos politiques (1er décembre 2010); Pierre Birnbaum et le danger de l'invocation «des terroirs» (3 mars 2011).

Il ne restait plus, dans ce désert croissant de la culture, qu'à inventer un grand projet pour que Nicolas Sarkozy se crût président de la République. Ce fut le tour d'une petite monstruosité de derrière les fagots: la «maison de l'Histoire de France», logée, au chausse-pied, aux Archives nationales à Paris. Mediapart observa la manœuvre, faisant ainsi le point: Histoire de France: critique de la Maison pure(27 novembre 2010). Tout cela s'inscrit dans ce que Nicolas Offenstadt, en son blog de Mediapart, appelait L'Histoire bling-bling(15 mars 2008). Dans l'édition «usages et mésusages de l'histoire», l'universitaire examinait ainsi la main basse de l'Élysée sur le récit national: Guy Môquet 3, le retour (20 octobre 2009).

Si Mediapart devait indiquer une direction à emprunter, cela donnerait plutôt: 17 octobre 1961: dire la vérité pour la réconciliation (15 octobre 2011).


Ensauvagement démocratique


Quand la culture s'avère inexistante au sommet de l'État, quand Frédéric Mitterrand se révèle à ce point le fossoyeur d'André Malraux, Mediapart, plutôt que d'accompagner la communication et l'agenda d'un pouvoir sans vision ni scrupule, tente plutôt de se livrer à divers essais définitionnels.

Luc Boltanski: «Nicolas Sarkozy s'inscrit dans la continuité de Valéry Giscard d'Estaing» (16 mars 2008); Sarkozy pris aux mots(9 avril 2008); Jean-Claude Casanova: «Sarkozy n'est pas fondamentalement un président libéral» (24 avril 2008); Du sarkoberlusconisme (5 mai 2008); Pour Nicolas Sarkozy, gouverner c'est assujettir (16 décembre 2008); Qu'est-ce qu'un monarque républicain agité? (5 février 2009); Nicolas Sarkozy: ce qu'Ali Magoudi dit (18 mai 2009); Signé Furax Rambaud (22 janvier 2010); Le sarkozysme et son envers (22 janvier 2010); Jean-Luc Godard: «Sarkozy? Il ferait un bon majordome» (20 mai 2010);Mathieu Potte-Bonneville: «La triple impasse du sarkozysme» (17 septembre 2010); Sarkozy l'innommable devenu (30 décembre 2010); Les basses œuvres de la République aux Invalides (28 novembre 2011); Rancière: «Sarkozy n'est qu'un gérant de l'ordre capitaliste mondial» (10 décembre 2011).

De telles pierres, conceptuelles ou polémiques, dans le jardin de l'Élysée, n'exonèrent pas pour autant la gauche. Pierre Rosanvallon: «L'échec du sarkozysme, la panne de la gauche» (17 septembre 2010); Jérôme Clément: «Je suis le premier à regretter que la culture ne figure pas au cœur du projet socialiste» (17 avril 2011).

Et Mediapart, pour chasser les miasmes propres à cette dépression culturelle et spirituelle, à cette acédie qui s'abat sur l'Hexagone, ouvre les fenêtres sur le grand large: De Césaire à Glissant, la Martinique comme antidote au sarkozysme (22 avril 2008).

La culture fortifie en élevant, permet de réfléchir et de comparer, aide à prendre son destin en main, table sur le meilleur. Le sarkozysme compte sur le pire, sur l'épreuve du feu électoral dans une forme d'ensauvagement démocratique, avec son cortège de manipulations des instincts régressifs et des faux espoirs. L'assèchement de la culture, cette acédie politique à l'œuvre depuis cinq ans, détruit nos rudiments du «vivre ensemble» au profit de l'aventurisme, de la démagogie et des coups tordus.

La culture campe du côté de «la fragilité du bien» (Tzvetan Todorov). À la brutalité arrogante de ce pouvoir, osons prodiguer l'avertissement évangélique: «Ne persécute pas, pour ne pas être persécuté. On te jugera avec le jugement dont tu juges; on te mesurera avec la mesure dont tu mesures.» (Matthieu, VII, I-2)
source

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire