mercredi 14 décembre 2011

L’audit, un outil essentiel pour révéler les origines et les causes des actuelles crises de la "dette" aux Etats-Unis et en Europe



La récente crise de la dette aux Etats-Unis et de nouvelles informations sur les actuels problèmes économiques des pays européens révélent la manière dont la dette publique a été utilisée au bénéfice du secteur bancaire et financier.

Il faut avant tout souligner que la dette publique n’est pas mauvaise en soi. En fait, il devrait s’agir d’un important instrument de financement des politiques publiques -l’une des raisons pour lesquelles les Etats sont autorisés à contracter des dettes, évidemment sous certaines limites et conditions. Les prêts doivent permettre d’obtenir des fonds qui, s’ajoutant aux recettes fiscales, permettent au gouvernement de remplir son rôle en satisfaisant les besoins élémentaires de sa population.


Cependant beaucoup d’études, d’audits et d’enquêtes ont déjà révélé qu’au lieu de contribuer au progrès des politiques publiques, des montants significatifs enregistrés comme dette publique ne correspondent pas à de l’argent obtenu par des prêts. Par ailleurs, une large part de la dette souveraine est utilisée pour payer des interêts et des amortissements de dettes précédentes dont la contrepartie n’est pas connue.

On peut repérer facilement le principal problème : L’instrument de la dette publique se transforme en un moyen de détournement des ressources publiques. Le manque de transparence dans ces processus et la grande quantité de privilèges - tant au niveau juridique que financier, avec de nombreuses ramifications - permet d’affirmer que ce modèle fonctionne comme un système dette au bénéfice d’un secteur restreint des marchés financiers.

Le "système dette" est une affaire très rentable. Le système financier privé est un complexe d’acteurs dépositaires d’une série de privilèges juridiques, politiques, financiers et économiques. Ces acteurs sont des grandes entreprises avec à leur tête de grandes banques et les puissantes agences de notation.

Aux Etats-Unis, ce système s’est récemment mobilisé pour sauver les banques du risque imminent de faillite. La dimension de ce plan de sauvetage a été révélée le 21 juillet par le sénateur Bernie Sander |1|, qui a présenté les résultats d’un audit mené par le Government Accountability Office |2| (commission d’enquête du Congrès chargée de l’examen des comptes publics). Ce rapport prouve que la Réserve fédérale (FED) a dépensé environ 16 000 milliards de dollars entre décembre 2007 et juin 2010 pour les plans de sauvetage, montants transférés directement aux banques et grandes entreprises assortis de taux d’intérêt proches de zéro.
Les révélations de ce rapport d’audit gouvernemental fournissent sûrement l’un des exemples les plus notables des privilèges du secteur financier, dont la crise été le premier pas vers la crise de la dette souveraine actuelle, pas seulement aux Etats-Unis mais également dans bien des pays européens. Ces sommes octroyées par la FED dépassent le montant total de la dette publique des Etats-Unis (actuellement estimée à 14 500 milliards de dollars) et le produit national brut (14 300 millards de dollars en 2010).

L’audit de cette opération doit se poursuivre car il montre clairement comment d’immenses dettes privées sont converties en dettes publiques. Les principaux bénéficiaires de ces montants octroyés par la FED sont repris dans le rapport comme suit :
Citigroup : 2 500 milliards de dollars (2 500 000 000 000)
Morgan Stanley : 2 040 milliards de dollars (2 040 000 000 000)
Merrill Lynch : 1 949 milliards de dollars (1 949 000 000 000)
Bank of America : 1 344 milliards de dollars (1 344 000 000 000)
Barclays PLC (Royaume-Uni) : 868 milliards de dollars (868 000 000 000)
Bear Sterns : 853 milliards de dollars (853 000 000 000)
Goldman Sachs : 814 milliards de dollars (814 000 000 000)
Royal Bank of Scotland (Royaume-Uni) : 541 milliards de dollars (541 000 000 000)
JP Morgan Chase : 391 milliards de dollars (391 000 000 000)
Deutsche Bank (Allemagne) : 354 milliards de dollars (354 000 000 000)
UBS (Suisse) : 287 milliards de dollars (287 000 000 000)
Crédit Suisse (Suisse) : 262 milliards de dollars (262 000 000 000)
Lehman Brothers : 183 milliards de dollars (183 000 000 000)
Bank of Scotland (Royaume-Uni) : 181 milliards de dollars (181 000 000 000)
BNP Paribas (France) : 175 milliards de dollars (175 000 000 000)

Ces montants montrent les privilèges du secteur financier qui, à côté de ces énormes prêts de la FED, ont également reçu d’autres montant significatifs du Trésor que ce soit directement ou par d’autres plans de sauvetage qui ont utilisé une grande part des recettes fiscales. Pendant ce temps, les contribuables souffrent d’un chômage grandissant, de restrictions des programmes de santé, et de coupes dans d’autres domaines de la sécurité sociale qui, ensemble, refaçonnent la structure sociale et conduisent à l’aggravation des conditions sociales, avec des inégalités bien plus élevées qu’au cours des dernières décennies. Cela peut expliquer pourquoi des manifestations du type de “Occupy Wall Street” gagnent du terrain.

Le même phénomène a lieu en Europe, où de nombreux pays sont confrontés à de sérieuses crises de la dette et à des manifestations auxquelles prennent part des millions de citoyens. Il faut rappeler qu’en 2008, on ne parlait pas de crise de la dette mais plutôt d’une crise qui affectait les grandes banques. A ce moment-là, les autorités ont décidé leur sauvetage tout en sachant bien les sérieux risques qu’un tel choix représentait pour le budget et le surendettement de tous les pays, comme la coupure de presse ci-dessous datant de février 2009 en témoigne.



Le sauvetage bancaire européen pourrait précipiter l’Union Européenne dans la crise
Selon un document confidentiel de Bruxelles, une reprise des avoirs toxiques détenus par les banques européennes pourrait précipiter l’Union européenne dans la crise.
Par Bruno Waterfield à Bruxelles le 11 février 2009
‘Les estimations du montant total des avoirs toxiques à effacer des livres de compte des banques suggèrent que les coûts budgétaires – réels et éventuels– de la reprise des avoirs toxiques devraient être très importants tant en termes absolus que par rapport au PIB des Etats membres’,met en garde le document vu par le Daily Telegraph.‘Il est important que le soutien gouvernemental pour la reprise de ces avoirs toxiques se réalise à une échelle qui ne crée pas d’inquiétudes quant à un surendettement ou à des problèmes de financement’.Le document secret de 17 pages a été discuté ce mardi par les ministres des finances, dont le ministre des finances britannique Alistair Darling ».


Bien que consciente du risque de faillite économique, risque évoqué dans certains documents secrets et palpable dans l’atmosphère de peur et les sommets d’urgence, l’Union européenne a fait pression sur les pays pour qu’ils organisent une série d’opérations de sauvetage des institutions financières. Comme les pays ne disposaient pas des fonds pour mener à bien ces opérations, ils ont procédé à des émissions massives de titres.

Il faut savoir que les justifications de cette décision se trouvent dans "le document secret de 17 pages" qui doit être révélé par un audit complet du processus.

L’origine de la crise financière est liée à l’absence de régulation du secteur. Certains contrôles de la SEC |3| qui avait été créée après la crise de 1929 pour contrôler la "qualité et l’authenticité" des titres échangés sur les marchés financiers - ont été supprimés ou simplement ignorés et contournés par les principales institutions financières.

L’absence de régulation a ouvert la voie à la création d’un montant incalculable d’actifs comme les produits dérivés et d’autres types de produits financiers qu’on peut considérer comme de simples paris sans aucune valeur réelle. Les fameux “actifs toxiques” ont inondé le marché d’ordures.

Le montant de ces titres "toxiques" était si considérable que certaines institutions financières, spécialement conçues pour recevoir ces titres - les banques de défaisance (bad banks) - ont ainsi été créées pour, comme l’a rapporté le Financial Times, soulager les banques d’une partie de ces "titres poubelles".



L’Allemagne prévoit la mise sur pied de “banques poubelles” individuellesUn nouveau plan gouvernemental prévoit que les avoirs toxiques des banques allemandes frappées par la crise seront intégrés dans des « banques poubelles », selon des informations reçues par le Financial Times.
Au lieu de la mise sur pied d’une seule « banque poubelle » nationale, le gouvernement allemand souhaite que les banques constituent leurs propres banques poubelles pour leurs avoirs non liquides.

Il est très important de savoir que les institutions qui ont émis ces titres sont les plus importantes du secteur financier, car ce sont celles qui ont la « crédibilité » pour vendre et négocier leurs propres titres sur les marchés financiers. De ces institutions qui risquaient le défaut, très peu ont été mises en faillite, Lehman Brothers par exemple. Très rapidement des mesures ont été prises pour les refinancer et les sauver de la faillite.
Les États ont eu des destins différents. Comme c’était à prévoir, le plan de sauvetage a mené la zone euro dans une crise aiguë, et dans une dépression d’une ampleur jamais vue depuis la seconde guerre mondiale.

En dépit de toutes les informations qui circulent dans les médias sur la crise européenne et qui insistent sur le problème de la dette publique, rien ou presque n’est dit sur ses causes, qui résident dans la crise bancaire et non dans des dépenses publiques excessives comme on l’entend souvent.

Il est nécessaire, pour une analyse plus approfondie, de comprendre les mécanismes utilisés par les système financier, la "créativité" des marchés financiers et les produits dérivés et autres actifs non adossés qui permettent aux investisseurs de "tirer profit des changements dans le prix des stocks, des indices, des marchandises et d’autres actifs sous-jacents |4| ".

Les produits dérivés se sont répandus sur les marchés financiers et ont été transférés aux fonds mutuels, aux fonds de pension, aux fonds souverains et à toutes sortes d’investissements à travers le monde. Comme le marché n’a pas réagi comme prévu, on a commencé à utiliser les polices d’assurances, ce qui a mené les banques à de sérieux problèmes financiers. Il faut savoir qu’à ce moment là "l’effet de levier des sociétés de courtage standard en valeurs mobilières était de 27 à 1, c’est-à-dire qu’elles avaient emprunté 27 fois leur capital |5|".

Plusieurs solutions sont imaginées pour remédier à cette situation, comme les banques de défaisance (bad banks), précédemment mentionnées. En Irlande, l’Agence nationale de gestion des avoirs (National Asset Management Agency, NAMA), créée en 2009 dans une tentative de sauver le système financier, a procédé à la nationalisation des dettes privées par l’émission de titres publics (sur lesquels les banques elles-mêmes ont développé toutes sortes d’activités spéculatives). Il s’agit là d’une socialisation des pertes des banques qui a un impatct brutal sur la vie des contribuables |6|.

Dans l’indifférence des conséquences pour les économies et des coûts sociaux immenses des mesures adoptées par le gouvernement pour sauver le système financier, les mêmes institutions n’acceptent aucune restriction légale destinée à réguler les transactions financières. A la différence d’autres actifs qui sont soumis à de nombreuses limites légales, il n’y a sur les produits dérivés ni contrôle ni coûts de transaction. Les banques et autres grandes entreprises sont toujours autorisées à émettre massivement de nouveaux actifs et à spéculer dessus.

2. Le détournement de la dette publique

Afin d’aider les banques à substituer une part de la bulle d’"actifs toxiques", les pays ont soit procédé à de la création monétaire (comme ça a été le cas aux Etats-Unis ainsi que l’a révélé l’audit réalisé par le GAO qui a montré l’octroi par la FED de 16 000 milliards de dollars aux banques), soit crée de la dette publique par l’émission de bons d’État, entre autres instruments.

Une part significative des "titres souverains" de ces pays ne représente donc pas une "dette publique" réelle ou une émission de titres pour l’obtention de ressources pour le pays, mais simplement l’utilisation détournée du mécanisme de la dette pour garantir des fonds aux institutions financières.

De plus, la dérégulation du marché financier permet l’utilisation de titres de la dette souveraine comme s’il s’agissait de jetons de casino. L’un des principaux privilèges des marchés financiers est leur liberté de se déplacer partout et particulièrement dans les paradis fiscaux, en jouissant du secret bancaire, et de négocier des titres souverains sur n’importe quel marché secondaire, dans la plupart des cas sans que le pays émetteur des titres n’en ait connaissance. Et cela n’est pas nouveau : l’Amérique latine a connu de grosses difficultés à partir des années 1970 lorsque les banques internationales ont commencé à vendre les contrats de prêts sur le marché secondaire.

Pendant combien de temps encore fera-t-on assumer à la société des opérations aussi irresponsables et immorales qui détournent l’argent des services sociaux fondamentaux comme la santé, l’éducation, la sécurité sociale, etc. en provoquant la perte de milliers d’emplois tout en assurant des bénéfices record pour le secteur financier ?

De plus, le résultat de ces opérations peut-il être considéré comme de la "dette publique" ? Les manuels d’économie expliquent que la dette publique est un instrument pouvant être utilisé pour financer les besoins de l’État et compléter les recettes fiscales pour que l’Etat puisse exercer ses compétences au bénéfice de la société. Les titres émis sans aucun critère pour le sauvetage des banques devraient être considérés comme des prêts distincts devant être remboursés par les banques, et non par la société dans son ensemble.

Les institutions financières sauvées depuis 2008 ont acheté des titres du Trésor avec l’argent emprunté auprès des gouvernements - à bas taux d’intérêt - et ont orienté ces liquidités vers des activités spéculatives (à travers des hedge funds, qui sont des formes d’investissement dérégulé). Elles essaient ainsi de gagner toujours plus d’argent en "investissant" dans la dette publique par l’émission de produits dérivés toujours plus nombreux, donnant lieu aux problèmes mentionnés plus haut.

En dépit de cela, les gouvernements continuent d’aider les institutions financières et de mettre en oeuvre les réformes sociales imposées par les politiques néolibérales. Il en ressort que les pays bradent la démocratie pour les profits bancaires. Cela résulte d’un système politique dans lequel le processus de décision ne repose pas sur la délibération publique mais sur des négociations entre "technocrates" qui prétendent ne pas faire de politique.

3. La nécessité d’un audit - méthodes, transparence, contrôle citoyen et le rôle des institutions internationales

L’instrument de la « dette publique » est maintenant utilisé en Europe comme il l’a été en Amérique latine à partir des années 1970. Les expériences d’audit de la dette – l’audit officiel en Equateur et l’initiative d’audit citoyen au Brésil – ont montré qu’au cours des 40 dernières années, les seuls bénéficiaires de la dette externe commerciale ont été les grandes banques internationales. Au lieu d’être un instrument pour financer des activités de l’Etat, ce type de dette sous forme de titres est un mécanisme de transfert des ressources publiques au secteur financier privé.
Les audits de la dette ont également montré que la crisee financière qu’on a connue à partir de 1982 en Amérique latine ont été provoquées par les mêmes créanciers privés internationaux, qui ont unilatéralement augmenté les taux d’intérêt, de 5% à 20,5% par an. Cela a donné la possibilité au FMI d’intervenir dans nos économies avec les plans d’ajustement structurel – comme cela se produit actuellement en Europe, qui nous ont valu au moins deux décennies de lourds sacrifices sociaux (ce que l’on a appelé les « décennies perdues ») pour garantir des bénéfices au secteur financier.
Il est très important que les pays européens, qui ne sont pas sous le joug de dictatures comme c’était le cas en Amérique latine au cours des années 1970 et 1980, organisent des audits officiels comme l’Equateur |7| l’a fait en 2007. Il est aussi essentiel que la société civile lance des audits citoyens, comme notre organisation l’a fait au Brésil |8|, pour trouver les documents, impulser des enquêtes populaires, des études, encourager la mobilisation sociale afin de faire la lumière sur ce processus d’endettement aussi vite que possible.
Un audit de la dette représente une opportunité d’obtenir la documentation relative à l’endettement et de montrer la vraie nature de ce qu’on qualifie de dette « publique ». Les résultats de l’audit peuvent impulser des actions concrètes dans tous les domaines : populaire, parlementaire, juridique et la mise en place d’autres politiques.

Il faut lever le voile sur le détournement de l’instrument de la dette publique. En Grèce par exemple, la manipulation du risque pays par les agences de notation - qui dégradent la note du pays juste avant l’échance de certaines obligations - force le gouvenement à signer des accords avec le FMI et l’Union Européenne. Cela permet de comprendre le fonctionnement de ces mécanismes. Une fois ce cadre en place, les institutions internationales et les grandes entreprises peuvent s’enraciner dans le pays et imposer leurs intérêts - y compris le démantèlement des droits sociaux, la protection des institutions financières et la vente de biens de l’Etat en particulier par la privatisation des entreprises publiques rentables.

Le mécanisme de pression de la "Troika" (les marchés, le FMI et la Banque centrale européenne) à l’encontre de pays - qui doivent "négocier" seuls - conduit à une très forte inégalité entre les parties, qui est un signe clair d’illégitimité. Le FMI en tant qu’agence spécialisée des Nations unies ,au même titre que l’OIT ou la FAO "devrait agir en étroite collaboration avec les agences de l’ONU et d’autres institutions spécialisées pour attiendre les objectifs de la Charte de l’ONU et de la Déclaration universelle des droits humains |9|” . Cependant, avec le temps, le FMI s’est éloigné de ses objectifs initiaux et défend maintenant de manière évidente les marchés financiers. C’est pourquoi on pourrait s’attendre à ce que les Nations unies, via la CNUCED, condamnent la conduite du FMI.

Mais le plus crucial est la manière dont le processus de dépouillement de l’Etat se produit. Les bons d’État sont utilisés pour capitaliser le secteur privé en affaiblissant les économies nationales. La dérégulation du secteur financier permet la vente des titres sur les marchés secondaires, n’importe où.

Il faut se rappeler que plus le prix est bas, plus le rendement est élevé, ce qui intéresse au plus haut point les spéculateurs. En Grèce par exemple, on a calculé que les titres étaient vendus sur le marché secondaire à 60% de leur valeur faciale. Avec un taux d’intérêt de 7%, la rémunération effective sera de 11,67% comme l’explique le tableau ci-dessous.



Lorsqu’un détenteur de titres les vend avec une soi-disant « décote », celui qui les achète gagne énormément d’argent. Plus le prix du marché baisse plus le bénéfice augmente, ce qui est une aubaine pour les spéculateurs. Si quelqu’un « subit » une décote en vendant en dessous de la valeur nominale celui qui achète fera un bénéfice supplémentaire grâce au rendement plus élevé de ces titres, ce qui peut légitimement être considéré comme une « manipulation du marché » et un abus à l’encontre de la Grèce.

Cette situation rend urgente la mise en place d’un audit intégral, qui ne doit pas porter uniquement sur les montants des émissions de titres, les remboursements mais également sur toutes les circonstances qui ont conduit la Grèce à se retrouver dans cette situation de surendettement, et répondre à des questions telles que :

1. Quel est le montant de la dette souveraine émise pour le sauvetage des banques ?
2. Quelle responsabilité de la Banque centrale européenne et de la Commission Européenne dans l’évolution du processus d’endettement de la Grèce ?
3. Quelle responsabilité des agences de notation dans la dégradation de la note des titres grecs, causant l’élévation des taux d’intérêt ?
4. Quelle responsabilité du FMI et de l’Union Européenne dans l’imposition de mesures défavorables au peuple et bénéfiques aux banques ?
5. Quelle responsabilité des banques pour :
   a. avoir incité le pays à s’endetter de plus en plus ;
   b. avoir spéculé sur les titres de la dette grecque pour faire monter les taux              continuellement et ainsi forcer l’intervention du FMI ;
  c. avoir joué avec les produits dérivés comme les « Credit Default Swaps » et autres titres toxiques.
6. Quelle est l’origine de la dette publique grecque ? La Grèce a-t-elle reçu les montants contractés ? A quoi ces montants sont-ils allés ? Pour quels objectifs ? Qui a tiré profit de ces prêts ?
7. Quelles dettes privées ont été transformées en dettes publiques ? Quel est l’impact de ces dettes privées sur le budget de l’Etat ?

Lorsque nous aurons fait la lumière sur toute cette information, nous pourrons dire quelle part de la dette est illégale, soutenus en cela par de nombreux arguments juridiques comme : 

> la co-responsabilité des créanciers et des institutions financières internationales

> l’asymétrie entre les parties
> la violation de principes généraux comme le caractère raisonnable et le maintien en l’état d’une situation donnée (Rebus sic stantibus)
> le droit au développement
> le droit à la souveraineté
> les violations des droits humains

Des recherches juridiques supplémentaires sont nécessaires pour mettre à jour dans la structure juridique du pays l’interdiction de procédures comme « la manipulation des marchés » et l’ « abus » car il est évident que les taux imposés à certains pays comme la Grèce sont abusifs.

Chaque système juridique inclut la notion d’abus de droits. En général, les caractéristiques principales qui définissent un acte abusif sont liées à des cas où des actes provoquent des dommages, lorsqu’un préjudice excessif est causé à l’une des parties, lorsqu’il y a preuve de l’intention de causer du tort ou l’obtenir des bénéfices excessifs, lorsque l’acte bafoue les droits sociaux et économiques, lorsqu’il contrevient à ce qui est raisonnable en matière d’intérêts sociaux entre autres.

Au cours de l’audit sur la dette de l’Equateur, en sus de s’appuyer sur la législation du pays, la Commission d’audit (CAIC) a également recherché les principes du droit international public, les pactes internationaux comme le Pacte international sur les droits civils et politiques ainsi que celui sur les droits économiques, sociaux et culturels. Nous avons alors découvert que la plupart des négociations autour de la dette externe équatorienne avaient violé ces traités.

La CAIC a également utilisé certains Principes généraux du droit (PGD) qui peuvent être utiles en Grèce comme : 

> l’enrichissement sans cause

> le principe “contractus qui habent tractum successivium et dependientium de futuro rebus sic stantibus” qui détermine comment une obligation peut faire l’objet d’une révision et devenir non exigible dans le cas d’un changement fondamental de circonstances (par exemple en ce qui concerne les taux d’intérêt)
> l’usure qui est connue comme la pratique illégale de prélever des taux d’intérêt excessifs et souvent illégaux 
> l’anatocisme (ou la capitalisation des intérêts)
> le vice de fond
> la bonne foi (comme dans la Convention des Nations unies)
> l’équité (les lois ne traitent pas d’autres formes d’abus comme l’abus financier)
> la solidarité et la coopération (qui font également partie de la Convention des Nations unies)
>  les politiques publiques.

Par ailleurs, la CAIC a approfondi les études sur la doctrine de la dette odieuse et le concept de dette illégitime, qui pourraient également s’appliquer à d’autres pays car il y a beaucoup de recherches à effectuer, comme Eric Toussaint l’a résumé |10| :“La dette publique grecque a fait la une de l’actualité au moment où les dirigeants de ce pays ont accepté la cure d’austérité demandée par le FMI et l’Union européenne, ce qui a provoqué de très importantes luttes sociales tout au long de l’année 2010. Mais d’où vient cette dette grecque ? Du côté de la dette à charge du secteur privé, l’augmentation est récente : une première augmentation forte suit l’entrée de la Grèce dans la zone euro en 2001, une deuxième explosion de la dette se produit à partir de 2007 quand l’aide financière octroyée aux banques par la Réserve fédérale aux Etats-Unis, par les gouvernements européens et par la Banque centrale européenne (BCE) est en partie recyclée par les banquiers vers la Grèce et d’autres pays comme l’Espagne ou le Portugal. Du côté de l’endettement public, la croissance est plus ancienne. Après la dette héritée de la dictature des colonels, le recours à l’emprunt a servi depuis les années 1990 à combler le trou créé dans les finances publiques par la réduction de l’impôt sur les sociétés et sur les revenus élevés. Par ailleurs, depuis des décennies, de nombreux emprunts ont permis de financer l’achat de matériel militaire principalement à la France, à l’Allemagne et aux Etats-Unis. Il ne faut pas non plus oublier l’endettement faramineux des pouvoirs publics pour l’organisation des Jeux olympiques en 2004. L’engrenage de l’endettement public a été huilé par des pots de vin de grandes compagnies transnationales afin d’obtenir des contrats : Siemens est un exemple emblématique.

Voilà pourquoi la légitimité et la légalité des dettes doivent être soumises à un examen rigoureux, à l’image du travail accompli par la commission d’audit intégral des dettes publiques de l’Equateur en 2007-2008. Les dettes qui seront qualifiées d’illégitimes, d’odieuses ou d’illégales, devront être déclarées nulles et la Grèce pourra refuser de les rembourser, tout en demandant des comptes en justice à ceux qui les ont contractées. Des signes encourageants provenant de Grèce indiquent que la remise en question de la dette est devenue un thème central et que la demande de création d’une commission d’audit progresse de manière intéressante.”


Lorsque l’on entame l’étude de la dette publique de n’importe quel pays, le premier pas à faire est de connaître l’origine de cette dette. Au cours du travail de la commission d’audit en Equateur et de l’enquête parlementaire au Brésil (CPI |11|,c’est seulement lorsque nous nous sommes véritablement plongés dans la documentation et les données que nous avons pu, par exemple, démontrer la pratique de l’anatocisme, en trouvant des preuves de la transformation de l’intérêt en capital. C’est ce qui s’est passé avec le Plan Brady qui a été adopté par de nombreux pays en Amérique latine. Ce plan a converti une dette ancienne en de nouveaux bons d’État. La dette précédente était composée d’une part de capital et d’une part beaucoup plus importante d’Intérêts qui s’étaient accumulés parce que nos Etats n’étaient pas en mesure de les payer. Certains des nouveaux titres émis dans le cadre du Plan Brady, appelés les “bons-intérêts” (interest-bonds) ont explicitement transformé les intérêts accumulés en capital.

Le Plan Brady a été mis en place au début des années 90 et la majorité des médias et même certains universitaires ont pensé qu’il s’agissait d’un pas en avant car il avait été largement présenté comme un plan qui réouvrirait à nos pays en situation d’insolvabilité l’accès aux marchés financiers. A côté de cela, on nous disait que cette conversion offrait à nos pays une remise de dette. Un des titres émis dans le cadre du Plan Brady était ainsi nommé « Bon de remise » (discount bonds). Ce n’est que lorsque nous avons fait l’audit en Equateur et les recherches au Parlement brésilien et que nous avons eu accès aux contrats que nous avons pu constater que la réalité était complètement différente de la propagande.

Les documents ont prouvé qu’il y avait véritablement un « système dette » derrière le refinancement continu d’anciennes dettes : un mécanisme de création de nouvelle dette pour payer d’anciennes dettes de manière à ce que la nouvelle dette soit toujours largement supérieure à l’ancienne, et ce en sus d’énormes paiements en capital, intérêts, commissions, charges, taxes, et toute sorte de frais supplémentaires. L’audit a également démontré que les négociations ont eu lieu en dehors du pays et que dans bien des cas– comme dans celui du Plan Brady – l’argent enregistré comme dette dans les contrats et par l’émission de titres n’est jamais parvenu dans nos pays, car l’échange de l’ancienne dette par les nouveaux titres était effectué par les créanciers eux-mêmes à la bourse de Luxembourg – sans que la transaction ne soit enregistrée auprès de la SEC – Securities and Exchange Commission des Etats-Unis, alors que c’est la législation et la juridiction états-uniennes qui étaient d’application. Les taux d’intérêt, les coûts et les clauses des contrats étaient complètement illégaux et abusifs. Pour résumer l’audit a levé le voile sur la désinformation complète quant à la signification véritable du Plan Brady pour nos pays. Et cela a été rendu possible en mettant la main sur les documents des négociations : contrats, comptes-rendus de réunions, écrits, procédures et tout ce qui a été consigné lors de chaque opération, en plus des statistiques et données disponibles.

Voilà seulement un exemple de la manière dont nous avons prouvé l’anatocisme et l’illégalité du processus. La principale conclusion d’un audit portant sur 30 ans en Equateur et d’une enquête parlementaire sur une période de 39 ans au Brésil est que le « système dette » a bénéficié uniquement aux plus grandes banques internationales et n’a pas servi de mécanisme pour financer nos pays, tel que la théorie économique définit la dette publique. L’instrument de la dette publique a été usurpé par les marchés. Notre tâche est de révéler la vérité par l’accès aux documents et aux preuves qui peuvent permettre de dévoiler les nombreux mensonges proférés autour de la dette publique de nos pays. Nous ne pouvons plus continuer à payer des dettes illégales avec nos emplois et nos vies. Soyons encouragés à entamer partout d’urgence des audits de la dette pour mettre à nu ce "système dette".

4. Conclusion

La crise financière actuelle a révélé le détournement de l’instrument de la dette publique en un mécanisme de transfert des ressources publiques pour résoudre un problème du système financier privé, plongé dans des opérations douteuses de produits dérivés non adossés. Le coût social de cette crise est énorme, tout particulièrement en Grèce. L’expérience de l’audit de la dette de l’Equateur a montré la valeur de cet instrument pour dire la vérité sur le processus d’endettement et a prouvé son utilité pour atteindre des résultats concrets. L’initiative d’un audit citoyen au Brésil a également montré l’importance de ce travail pour une approche historique du processus de la dette, une meilleure compréhension des développements récents liés à la crise de la dette, le maintien de la question à l’agenda des débats nationaux et internationaux. La réalisation d’audits intégraux dans les pays affectés par une crise qui était d’abord celle des marchés financiers, est essentielle à la prise de décisions conduisant à la justice sociale et à la dignité pour la société dans son ensemble.

Maria Lucia Fattorelli

María Lucia Fattorelli est coordinatrice de l’Audit citoyen du Brésil depuis 2001 www.divida-auditoriacidada.org.br ; elle a fait partie de la Commission d’audit sur la dette de l’Equateur (2007-2008) et a été conseillère technique de la Commission d’enquête parlementaire sur la dette publique (2009-2010). Elle remercie Rodrigo Ávila, João Gabriel Pimentel Lopes et Laura Carneiro de Mello Senra pour leur collaboration sur cet article.


Notes

|1| http://www.unelected.org/audit-of-t...
|2| http://www.gao.gov/products/GAO-11-696
|3| Securities and Exchange Commission, l’autorité de régulation boursière aux États-Unis
|4| http://www.contracts-for-difference...
|5| http://www.contracts-for-difference...
|6| http://www.marxist.com/irelands-cri...
|7| La Commission d’audit sur la dette (CAIC) créée par le décret 472/2007
|8| www.divida-auditoriacidada.org.br
|9| Eric Toussaint et Hugo Ruiz Diaz - El Banco Mundial, el FMI, la ONU y las reivindicaciones del Tercer Mundo - Perspectiva histórica- http://www.rebelion.org/docs/9409.pdf
|10| Eric Toussaint, “La Grèce : tout un symbole de dette illégitime” http://www.cadtm.org/Grece-Tout-un-...
|11| Commission créée par le Parlement brésilien pour faire la lumière sur la dette publique, le paiement des intérêts et les impacts sur la société - Câmara dos Deputados Federais d’août 2009 à mai 2010)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire