dimanche 18 décembre 2011

Hébergement d'urgence : 5 millions d'euros en sommeil




Couvertures chauffantes ou gilets pare-balles ? Le 2 décembre à l'Assemblée nationale, en séance plénière sur le projet de loi de finances rectificative pour 2011, la ministre du budget, Valérie Pécresse, dépose sous le n° 439 un amendement pour le moins surprenant.

«Il s'agit de soutenir les communes pour l'acquisition de gilets pare-balles destinés à équiper les polices municipales», explique-t-elle. Comment ? En prélevant 2 millions d'euros sur les excédents duFonds d'aide au relogement d'urgence (Faru). Stupéfaction au Palais-Bourbon. Même le rapporteur UMP Gilles Carrez n'en croit pas ses oreilles: «Franchement, ce n'est pas possible. Je sais bien que le Faru a un excédent (...). Mais aller prélever de l'argent destiné au relogement d'urgence pour financer des gilets pare-balles, même si ce sont ceux des polices municipales, non !», tranche-t-il.

Jugeant cet amendement «invraisemblable», «indécent» et«déplacé», le député Jean-Pierre Brard (Gauche démocrate et républicaine) estime que l'excédent de ce fonds pourrait être utilisé autrement: «Si encore, madame la ministre, vous aviez proposé, compte tenu de la situation dramatique des SDF, de troquer une partie des crédits pour le relogement d'urgence contre des couvertures chauffantes, j'aurais compris. Mais contre des gilets pare-balles, non ! Le ridicule a ses limites, même si je sais comme vous tous que, depuis Mme de Sévigné, il ne tue plus, hélas !»Faisant l'unanimité contre elle, Valérie Pécresse insiste un peu, parle de «recrudescence de la violence» et de crédits dont «chaque euro doit être dépensé». En vain. L'amendement n°439 est retoqué.

Outre le caractère ubuesque de la proposition de la ministre du budget, relevé çà et sur le web, cette scène parlementaire aura eu l'avantage de révéler une chose: un fonds destiné au relogement d'urgence, doté si l'on en croit Valérie Pécresse de 5 millions d'euros, dort au ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités locales depuis plusieurs années.

Encore méconnu, le Faru a été créé en 2006 dans le cadre de la loi de finances, après l'incendie meurtrier de l'hôtel Paris-Opéra du 15 avril 2005, dans lequel onze enfants et treize adultes avaient péri. Selon la circulaire qui en précise les modalités d'attribution, il est«destiné à apporter un financement aux communes qui prennent en charge, soit le relogement d’urgence de personnes occupant des locaux présentant un danger pour leur santé ou leur sécurité, soit la réalisation de travaux interdisant l’accès à ces locaux».

Créé dans un premier temps pour cinq ans et pour les communes seules, le Faru a été prolongé jusqu'en 2016 par la loi de finances pour 2011. Son champ d'application a également été étendu aux établissements publics locaux (EPL), ainsi qu'aux groupements d'intérêts publics (GIP).


150.000 personnes à la rue



«Urgence hiver 2011» ©Fondation Abbé Pierre



Au regard des nombreuses expulsions qui ont eu lieu au cours des derniers mois (comme à La Courneuve et àMontreuil), de la multiplication des arrêtés de péril et d'insalubrité pris par les municipalités et les préfectures pour lutter contre les «marchands de sommeil», de la crise que traverse le Samu social et de l'évolution inquiétante du nombre de personnes à la rue, il peut sembler surprenant qu'un fonds tel que le Faru soit excédentaire.



D'autant plus surprenant que la Cour des comptes, dans un rapport dévoilé le 15 décembre, dénonce les insuffisances et incohérences de la politique lancée en 2009 pour l'hébergement des sans-abri dont «la population (...) s'est considérablement accrue» en dix ans, passant de 85.000 à 150.000 personnes. Si elle estime que «les pouvoirs publics ont pris la mesure de ces évolutions en engageant des réformes», comme l'introduction du droit inconditionnel à l'hébergement, la Cour constate toutefois que «les résultats escomptés ne sont pas encore au rendez-vous» et recommande, en outre, d'augmenter les capacités d'hébergement en zones tendues.

Partageant certains constats de ce rapport, le secrétaire d'État au logement, Benoist Apparu, et sa ministre de tutelle, Nathalie Kosciusko-Morizet, se sont en revanche opposés à cette dernière recommandation: «La réponse à l'augmentation de la demande ne peut pas résider dans une croissance continue de l'offre», ont-ils réagi dans un communiqué.

Pour le directeur général d'Emmaüs Solidarité, Bruno Morel, le«logement d'abord» prôné par le gouvernement ne devrait pas être incompatible avec l'hébergement d'urgence. «La situation s'aggrave, affirme-t-il. Beaucoup de sans-abri n'ont pas de papiers et ne peuvent donc pas accéder au logement. Par ailleurs, nous retrouvons désormais un public salarié à la rue, certaines maladies disparues réapparaissent... Nous sommes très inquiets. Pourquoi les places en centres ne sont-elles pas pérennisées ? Que va-t-on faire le 31 mars, après la trêve hivernale ? Parler de logement, c'est bien, mais il ne faut pas oublier l'hébergement d'urgence.»

Au lendemain de la publication du rapport de la Cour des comptes, la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars), qui pilote l'Observatoire national du 115, rendait à son tour publique une autre étude. Cette dernière révèle que plus de 40% des demandes d'hébergement faites au numéro d'urgence et d'aide aux personnes sans-abri n'ont pas été satisfaites en 2010.

Fin novembre déjà, le comité de suivi de l'application du droit au logement opposable (Dalo) tirait la sonnette d'alarme en dénonçant dans son cinquième rapport un État «hors la loi». Presque quatre ans après son entrée en vigueur au 1er janvier 2008, le Dalo reste en effet très mal appliqué: manque de moyens, complexité de la procédure, dossiers fantômes... Cette mesure qui se voulait phare n'en finit pas de montrer ses faiblesses. Et en attendant leur dû, les«oubliés du Dalo», comme les appelle l'association Droit au logement (DAL), se retrouvent eux aussi à la rue.

La publication successive de ces études vient appuyer le constat des trente et une associations et fédérations nationales qui se sont réunies en collectif dès janvier 2008 pour faire de l'exclusion dans le logement une priorité des pouvoirs publics. Ensemble, elles dénoncent notamment la baisse des crédits alloués à l'hébergement d'urgence qui, année après année, se réduisent comme peau de chagrin. Dès lors, l'annonce d'un fonds excédentaire de plusieurs millions d'euros, loin d'être négligeable, a été accueillie comme une véritable surprise au sein du milieu associatif.


«Est-on encore dans un État social ?»

Dans une lettre ouverte adressée à Benoist Apparu le 12 décembre, le syndicat Sud Santé-Sociaux s'est le premier étonné que le Faru soit «excédentaire de 5 millions d'euros alors que 700.000 personnes sont sans logement» et que «la loi de finances 2012 frappe fort sur les crédits alloués pour l'hébergement d'urgence, en baisse de 14%». «Est-on encore dans un État social ou un État totalitaire qui renforce la politique sécuritaire pour contrôler une population en souffrance ?», interroge le courrier.

Même étonnement du côté de la Fnars, où l'annonce d'un Faru excédentaire a laissé stupéfait. «La proposition de Valérie Pécresse montre le degré d'incommunication entre les ministres, déplore le directeur général de la fédération, Matthieu Angotti, qui voit là une énième preuve de la quasi-indifférence du gouvernement sur le sujet. Alors que Benoist Apparu est en pleine réforme sur l'hébergement d'urgence, la ministre du budget n'a même pas l'idée de se servir de l'excédent du Faru pour soutenir le projet. Et pourtant, il y a un délégué interministériel pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans-abri ou mal-logées (ndlr - le préfet Alain Régnier, nommé en 2010)... Il y a là un vrai dysfonctionnement.»

Après s'être renseigné auprès des différentes associations avec lesquelles la Fnars collabore, M. Angotti assure que personne ne semblait au courant de l'excédent du Faru. «Ça pose un problème de gouvernance, estime-t-il. Pour qu'un dispositif vive, il faut que l'information circule. Mais ça n'est visiblement pas le cas...»
«Plus d'une année après la création du fonds, il apparaît que les communes le connaissent mal et y ont faiblement recours, pouvait-on déjà lire dans une circulaire datée de juin 2007 adressée aux préfectures. La présente circulaire dont je vous demande d'assurer la meilleure diffusion a pour objet d'en rappeler l'intérêt.» Or, cinq ans plus tard, le constat reste le même: si l'acronyme «Faru» évoque parfois vaguement quelque chose aux responsables associatifs ou aux agents municipaux interrogés par Mediapart, la plupart d'entre eux avouent ne pas en connaître l'utilité ni les modalités d'attribution.

«Savoir qu'un Faru existe et qu'il n'est pas consommé complètement, ça fait mal au cœur», confie le délégué général adjoint de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, qui regrette le «cynisme extraordinaire» dont a fait montre Valérie Pécresse en proposant de puiser dans ce fonds pour financer des gilets pare-balles: «Cela traduit une vision du monde assez effarante...»

Du côté de la direction générale des collectivités locales qui gère le Faru, on ne s'exprime guère sur le sujet. Contacté par Mediapart, un chargé de mission nous indique simplement qu'il y a «un travail de pédagogie» à faire pour que les communes s'emparent de ce fonds «relativement récent». Cinq années n'auraient donc pas suffi pour faire passer l'information ? L'argument semble difficile à croire. La proposition de Valérie Pécresse aura au moins eu l'avantage d'accélérer la communication.

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