samedi 17 décembre 2011

Guerre d'Algérie: les fiches secrètes des RG sur le FLN



Mediapart publie aujourd'hui des documents inédits sur la guerre d'Algérie. Il s'agit de plusieurs notes de synthèse de la Sûreté nationale (SN, dont faisaient partie les Renseignements généraux), qui ont été rédigées au long de l'année charnière 1961. Ces notes ont, à l'époque, été adressées au ministre de l'intérieur, Roger Frey (qui avait succédé à Pierre Chatenet à partir du mois d'avril), au premier ministre, Michel Debré, et au président de la République, Charles de Gaulle.

Jamais publiés jusqu'ici, ces documents proviennent de vieux dossiers longtemps restés sous clef au ministère de l'intérieur. Confiés, dans un premier temps, à l'historien Benjamin Stora au début des années 1980, ils ont été redécouverts récemment dans les archives de ce dernier par le journaliste Laurent Chabrun. Notre confrère vient de publier un ouvrage sur la lutte des services de renseignement français contre le FLN (La Guerre de l'ombre, Jacob-Duvernet).

A cinquante ans de distance, ces rapports confidentiels attestent tout d'abord de l'attention méticuleuse que portaient, au sein de la Sûreté nationale, les policiers des Renseignements généraux (RG) aux indépendantistes algériens installés en France, et plus particulièrement au puissant FLN. Ils montrent qu'à défaut de pouvoir prédire l'issue du conflit, le pouvoir exécutif était copieusement renseigné au jour le jour sur l'évolution de la mouvance indépendantiste.

Ces documents prouvent aussi que les RG, et plus généralement la Sûreté nationale, disposaient d'indicateurs et d'informateurs au sein du FLN et dans la communauté franco-algérienne. L'usage de la menace, du chantage et de la torture, courants à l'époque, n'est – toutefois – pas mentionné dans ces rapports.

Ces notes de la Sûreté nationale montrent, enfin, qu'au lendemain de leur répression sanglante par la police parisienne du préfet Maurice Papon, les services de renseignement, très alarmistes, ont présenté à l'exécutif les manifestations du 17 octobre 1961 comme « le début d'une action d'ensemble », et prévenu que le FLN veut « démoraliser l'opinion publique et créer un climat favorable à l'ouverture des négociations ». La guerre s'est bel et bien déplacée à Paris.

1. Note du 4 juillet 1961 sur la journée du 5 juillet, « anniversaire de la prise d'Alger »

La Sûreté nationale soupèse, dans cette note du 4 juillet 1961, les risques d'une possible extension en métropole des manifestations en faveur de l'indépendance qui doivent être organisées le lendemain en Algérie par le FLN, à l'occasion de l'anniversaire de la prise d'Alger par les troupes françaises, le 5 juillet 1830.

A la veille des manifestations, les policiers des services de renseignement se veulent rassurants en observant qu'en métropole, la CGT ne soutient que « prudemment toute action de masse des Algériens en faveur de l'autodétermination et contre le partage ».

La Sûreté nationale s'inquiète, en revanche, d'une éventuelle « action terroriste » en métropole de l'Organisation spéciale (OS), le bras armé du FLN.


4 juillet



«Démoraliser l'opinion publique»

2. Note du 20 octobre 1961 sur les manifestations du 17 octobre

Pas un mot, dans ce rapport de synthèse de la Sûreté nationale daté du 20 octobre 1961, sur la répression féroce, trois jours plus tôt, par la police parisienne, des manifestations pacifiques du 17 octobre organisées par le FLN contre le couvre-feu imposé depuis peu aux Algériens de France. Un déchaînement de violence policière qui, sur plusieurs jours, a fait environ 300 morts à Paris au sein de la communauté algérienne, et qui est aujourd'hui considéré comme la manifestation ayant fait le plus de victimes dans une démocratie occidentale après la Seconde Guerre mondiale.

Pour la Sûreté nationale, la question est ailleurs. « Les manifestations de masse conduites par le FLN à Paris sont le début d'une action d'ensemble, où l'organisation, maintenant en partie découverte, va s'engager à fond pour démoraliser l'opinion publique et créer un climat "favorable" à l'ouverture des négociations », écrivent les hommes du renseignement.

« Par leur ampleur et leur persistance, les manifestations organisées par le FLN font penser que la Fédération de France s'estime en mesure de donner ce "coup de boutoir final" dont parlait le premier rapport général de la Fédération, saisi sur Ben Bella en octobre 1956 », s'alarment les policiers.

Une ligne dure, qui ne tient pas compte de l'aspiration des peuples à la liberté, et présente le FLN en parti d'extrémistes, insensible aux avancées du pouvoir gaulliste.

suite 20 octobre






«La masse musulmane algérienne»

3. Note du 24 octobre 1961 sur la journée du 17 octobre

Une semaine après les manifestations du 17 octobre 1961, la Sûreté nationale évalue le degré de mobilisation de la « masse musulmane algérienne de métropole ». Les policiers craignent de nouvelles démonstrations de force du FLN, qui impose « une discipline de fer » aux immigrés algériens, et pour « montrer, quel que soit le prix de la démonstration, que le "peuple algérien" est un peuple libre et que le FLN est son meilleur représentant ».

Les RG de la Sûreté nationale alertent, par ailleurs, l'exécutif sur une possible « action d'envergure qui serait une sorte de dernier coup de boutoir » contre la France. Toujours l'alarmisme.

« Tout arrêt partiel ou généralisé des actions rebelles »,
prédisent les policiers à la fin de leur rapport, ne serait qu'une « manœuvre tactique toute provisoire, que le FLN ne manquerait pas de mettre à profit pour combler, sur les plans idéologique, territorial et paramilitaire, les lacunes de son organisation ».
suite 24 octobre



La «collecte» du FLN en métropole

4. Note du 4 novembre 1961 sur la journée du 1er novembre, anniversaire de la « rébellion »

Chaque date anniversaire du début de l'insurrection algérienne (ce que les policiers nomment « la rébellion »), le 1er novembre 1954, est surveillée de très près.

« Le calme qui a marqué la commémoration du 7e anniversaire de la rébellion ne doit pas être interprété comme marquant une quelconque régression de l'empreinte frontiste sur les travailleurs algériens de métropole », prévient la Sûreté nationale dans une note du 4 novembre 1961.

Une « mobilisation silencieuse » se poursuit, prévient la note, et les collectes du FLN ont rapporté une « cotisation exceptionnelle » parmi les travailleurs.

« Le maintien de la pression frontiste et le fatalisme constant d'une masse musulmane lasse des exactions, mais toujours soumise aux consignes frontistes, n'autorisent donc pas à penser que les travailleurs algériens se déroberont si un nouvel appel à l'action directe, assorti de l'habituel recours à la rigueur et aux sanctions, leur est lancé dans un proche avenir », écrivent les policiers.

Ceux-ci semblent toujours osciller entre pessimisme sincère et alarmisme calculé.



4 nov



L'obsession du «péril rouge»

La lecture de ces notes et de l'ouvrage de Laurent Chabrun fait également découvrir le suivi très précis, par les policiers, des rivalités et règlements de comptes au sein de la communauté algérienne de France, entre le MNA et le FLN. Une guerre dans la guerre qui fit environ 4.000 morts, selon les historiens.

Les documents de la sûreté nationale éclairent aussi l'état d'esprit des services de renseignement avant le 17 octobre 1961 (lire ici l'appel pour la reconnaissance officielle de la tragédie). Une ambiance de paranoïa dans laquelle se mêlent intimement la peur des attentats, l'envie latente de venger la cinquantaine de policiers tués depuis 1958, un sentiment de racisme sous-jacent, et souvent une entière adhésion aux thèses ultra de l'Algérie française. Un cocktail dangereux, qui explique peut-être la série d'assassinats d'Algériens non élucidés, que les historiens attribuent pour partie à des policiers de l'époque.

On découvre aussi, dans La Guerre de l'ombre l'étonnement des services de renseignement français face au soutien bienveillant dont semble alors bénéficier le FLN de la part de la CIA. Malgré le soutien du bloc de l'Est aux mouvements indépendantistes, les Etats-Unis ont en effet aidé le syndicat algérien UGTA, créé par le FLN. Le calcul était, semble-t-il, de miser sur l'émergence de la démocratie dans les anciennes colonies en voie d'émancipation afin d'accroître l'étendue et l'influence du « monde libre » face à l'URSS et ses satellites.

L'auteur insiste aussi sur la focalisation, à l'époque, des policiers des RG et de la Sûreté nationale sur le « péril rouge » : obsédés par la menace communiste, ils ont encore une vision bipolaire et manichéenne du monde. En pleine guerre froide, muni de cette unique grille de lecture, ils semblent avoir du mal à saisir les ressorts profonds des mouvements de décolonisation, et à comprendre l'évolution des différentes formes de nationalisme qui s'opère sous leurs yeux.



Benjamin Stora explique, dans la préface de La Guerre de l'ombre, comment l'insistance éclairée du journaliste Laurent Chabrun a permis de faire revivre de vieilles archives ensommeillées de l'historien, et de les rendre publiques « dans une démarche à la Wikileaks ».

Le livre de Laurent Chabrun a été publié au mois de novembre chez Jacob-Duvernet.







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