vendredi 2 décembre 2011

du sang, des larmes et un miroir



Et vogue le spectacle de la peur. La dette déroule son mélodramedepuis l'été, Attali annonce la fin de l'euro avant noël, les sommets de la dernière chance s’enchaînent hebdomadaires, Benjamin Biolay sort un best-of et s'installe progressivement dans les têtes cette idée sentant bon le sermon dominical à la paroisse que non seulement on va souffrir, mais qu'en plus c'est là seule condition[1] pour accéder au paradis. A savoir l'aboutissement d'un système qui, après avoir foiré durant30 ans et après une ultime phase sacrificielle, fonctionnerait enfin.

A six mois de l'élection présidentielle, j'observe trois attitudes dans mon entourage:
1/ Ceux qui veulent renverser la table et changer de système.

2/ Ceux qui s’apprêtent à souffrir pour les cinq prochaines années, convaincu qu'il faut "du sang et des larmes" pour s'en sortir. La timide remontée de popularité de N.Sarkozy, toujours à la fête statistique dès qu'il y a de la peur et du malheur, nous remémore avec accablement que persiste une appétence populaire à la souffrance (ce qu'on appelle dans les milieux autorisés: la Michelgodetise). Certes, la catégorie se subdivise en deux sous-parties: ceux qui sont convaincus qu'ils doivent souffrir et ceux convaincus que c'est aux autres de souffrir. L'art de l'homme de droite est de conduire ces deux parties à l'osmose.

3/ Ceux qui iront là où leur dira d'aller étayant leur amertume d'un "c'est comme ça" ou "de toutes les façons, on n'a pas notre mot à dire", ou encore du célèbre "parce que les politiques c'est rien que des pourris qui ne nous représentent pas" (éventuellement suivi dans la foulée d'un "sinon, y a quoi ce soir sur M6?"). N.B: Ceux-là sont de loin les plus nombreux.

Dans les deux "partis de gouvernement", on vise le rassemblement des deux premières catégories sur fond de rationalité en soufflant d'un jour sur l'autre sur l'une des deux logiques: l'annonce de la souffrance et l'indispensable promesse électorale du changement. On promet que ça ne peut pas continuer ainsi, mais on s'interdit la radicalité en délaissant les changements de paradigme aux partis extrêmes que l'on amalgame dans le même sac étanche étiqueté "fadaises". Quant à la troisième tendance, vu qu'elle ne vote pas, le politique s'y intéresse peu: ce qui en retour renforce logiquement le mépris et le fameux "tous pourris qui ne nous représentent pas"[2].

Le Yeti écrit sur son blog : "J’appelle Indignés tous ceux qui ont compris l’impérieuse nécessité de jouer la partie hors du cadre systémique imposé".

Qui a envie de jouer hors de la partie? Le changement est-il réellement souhaité? Dans une société où l'ouverture d'un Marks and Spencer réunit sous des trombes d'eau dix fois plus de piétons tièdes qu'un rassemblement de téméraires indignés à La Défense, où la révolution est une box internet designed by Starck, où les records de participation aux indécentes cagnottes de la loterie sont régulièrement explosés, où les goûts et les rêves du bobo que le prolo exècre s'accordent sur les codes, les marques et les mêmes programmes que ceux du prolo que le bobo conchie, où les velléités de cocooning, d'upgrade frénétique d'hi-techhautement périssable, de "plus-value net vendeur" transcendent la pyramide des âges et des régions, c'est moins le système qui est critiqué que ses défaillances à remplir le contrat d’abondance tel qu'il est vu à la télé. De plus, mes observations sont sans appel: dès que l'on possède une part de confort, même minime, assorti d'un endettement,même maximum, on s'y accroche. La droite le sait bien. La gauche aussi.


A partir de là, on pourra toujours critiquer les politiques pour leur carence à fournir du rêve. Comment être indigné, et contre quoi, lorsqu'on a qu'une envie: celle de devenir bourgeois? Comment rêver d'un autre monde alors que l'on aspire en permanence à surperformer dans celui-ci, quitte à écraser l'autre et à se sacrifier soi?

Philippe Sage écrit sur son blog: "Ce que veut le peuple, c'est le changement, et en profondeur".
Alors le peuple le cache bien. L'élection de 2012 ne s'articulera pas sur l'aspiration du peuple à changer de système en profondeur. Au contraire,sera choisi celui ou celle qui sera le plus à même de garantir la pérennité de celui-ci. Et ce même, s'il doit y avoir souffrance. "Même et surtout" peut-on craindre, l'équation religieuse souffrance = paradis étant prêchée en continu depuis six mois par l'armée des douze"experts" économiques aux trois-huit dans les médias.

Les périodes d'austérité sont propices aux alternances politiques et, j’ai beau tourner le problème dans tous les sens, ça me semble compliqué pour la droite de l’emporter en 2012 (à moins d'un nouveau passage de comèteNafissatou). La course éperdue après le FN est d'ailleurs la preuve que la droite a conscience du problème. Mais, selon les mécanismes punition-récompense qui sont un des piliers de notre époque et la base du discours dominant, l'hypothèse de la réélection du bourreau, mal aimé mais reconnu comme le plus crédible à préserver le système, n'est pas à prendre à la légère.

Au lieu de reprocher à un candidat socialiste de ne pas être d'une gauche assez pure (mais se risquera-t-il à radicaliser plus son propos au regard de ce qui est énoncé ci-dessus et dont il est parfaitement conscient?), il nous faut sans cesse, partout autour de nous, rappeler le bilan du candidat sortant et plus encore l’inefficacité de son logiciel de gouvernance (NDLR: clairement pas à gauche).

Pour le changement, étant convaincu que chaque acte de la vie quotidienne recèle une part de politique, c'est d'abord l'affaire de chacun de nous. A nous d'être et agir à gauche, alors les hommes et femmes politiques suivront.


[1] faire payer les riches ou envoyer balader les banques ayant été des hypothèses écartées d'office.
[2] A ce sujet, histoire d'exister à leurs yeux, on ne peut que conseiller à ceux qui n'ont pas fait la démarche de s'inscrire sur les listes électoralesavant la fin décembre. C'est simple et rien que cette action contribue à changer la donne.


Illustration: E la nave va, Federico Fellini (1981)

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