samedi 17 décembre 2011

Droit d'asile: bataille juridique autour des «doigts brûlés»


De la réforme de l'asile voulue par Claude Guéant à l'extension de la liste des pays dits «d'origine sûrs» en passant par les objectifs chiffrés, les sujets de discorde se multiplient entre d'un côté les pouvoirs publics et la direction de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et, de l'autre, les agents de cette instance supposée indépendante et les associations défendant les droits des demandeurs d'asile. Cette fois-ci, le différend porte sur les «doigts brûlés».

Dans son film sur les migrants de Calais, Qu'ils reposent en révolte (Des figures de guerre I), Sylvain George pose sa caméra sur ces hommes et ces femmes venus d'Afghanistan, du Pakistan, d'Érythrée ou d'ailleurs et qui préfèrent effacer leurs empreintes digitales en les brûlant à l'aide de clous chauffés à vif, plutôt que de se laisser piéger par elles.

Car ces exilés savent que les administrations des différents pays européens se servent de ces indices corporels, en les enregistrant dans des registres biométriques, pour identifier et tracer leur parcours et éventuellement leur barrer la route et les renvoyer d'où ils viennent.


Plusieurs techniques coexistent: flammes, mais aussi lames de rasoir, morceaux de verre, acide. Cette pratique n'est pas nouvelle, mais l'Ofpra, placé sous la tutelle administrative du ministère de l'intérieur, s'en est récemment préoccupé. Non pas pour s'émouvoir du sort des personnes concernées, mais pour les punir.

Dans une note interne en date du 3 novembre 20011 révélée par Owni, son directeur général, Jean-François Cordet, vise ces demandeurs d'asile qui ont «pris le parti d'altérer délibérément l'extrémité de leurs doigts». Il en est convaincu, ces individus se mutilent non pas parce qu'ils sont prêts à tout pour échapper à la guerre ou à la misère, mais parce qu'ils ont quelque chose à cacher. Par conséquent, il enjoint à ses services de «statuer sans tarder par la prise d'une décision de rejet», sans examiner le fond du dossier.

«Une telle attitude, visant à faire échec à d'éventuels recoupements, a pour conséquence de jeter un doute sérieux sur certains des éléments nécessaires à la prise en compte de la demande d'asile, puisqu'elle ne permet pas d'établir avec suffisamment de certitude l'identité, voire le pays d'origine de la personne qui sollicite la protection de la France», estime-t-il, ajoutant que «cette absence manifeste de coopération place en définitive l'Office dans l'impossibilité de se prononcer en toute connaissance de cause sur le bien-fondé de la demande dont il est saisi, qui plus est dans le cadre d'une procédure limitant les délais impartis pour l'instruction.»

Ce faisant, il donne les instructions pour la lettre-type de refus qui se termine ainsi: «De par cette volonté de dissimulation, l'intéressé(e) ne permet pas à l'Office de recueillir l'ensemble des éléments nécessaires à l'éventuelle reconnaissance du bien-fondé de sa demande d'asile.» Par sa faute, il sera donc débouté.

Organisée en coordination française pour le droit d'asile (CFDA), les associations de défense des droits des étrangers ont annoncé, vendredi 16 décembre, leur intention de saisir le juge des référés du conseil d'État. De fait, les injonctions de la direction de l'Ofpra ont été aussitôt mises à exécution et se sont traduites par des «centaines de rejets» à Calais, Nantes, Dijon, Montpellier et Paris. Les premières victimes de ces refus étant des personnes originaires de la Corne d'Afrique, dont les demandes ont traditionnellement de bonnes chances d'être acceptées.

Interpellé par des demandeurs d'asile et ces mêmes associations, le tribunal administratif de Melun vient de considérer que l'Ofpra porte une atteinte «manifestement illégale et grave au droit d'asile». Mais la CFDA refuse de laisser l'aléatoire de la jurisprudence s'installer sur une question aussi cruciale et veut le retrait pur et simple d'une instruction qu'elle juge illégitime dans la mesure où elle «part du principe que tous ces demandeurs sont des fraudeurs».

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