vendredi 16 décembre 2011

Alerte, récession !



C'est une alerte qui vaut pour toute l'Europe comme elle vaut pour la France. Elle concerne Nicolas Sarkozy comme elle concerne tous les candidats qui l'affronteront lors de la prochaine élection présidentielle : la récession arrive, avec son cortège de souffrances sociales. Effondrement de l'emploi, baisse du pouvoir d'achat, envolée du chômage... la dépression économique est déjà à l'œuvre. Voilà en résumé ce qui transparaît de la dernière « Note de conjoncture » que l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a publiée ce jeudi 15 décembre tard dans la soirée.

Oui, une alerte ! En ouverture de la campagne présidentielle et alors que la France pourrait perdre rapidement – peut-être même en ouverture du prochain week-end – son fameux « AAA » que lui accordent les agences de notation financière, le document impartial des statisticiens et des prévisionnistes de l'institut public fonctionne comme une double interpellation. D'abord pour la droite : n'est-il pas urgent de suspendre une politique économique qui conduit l'Europe tout entière, et notamment la France, dans l'ornière et qui la place aussi nettement sous la tyrannie des marchés financiers et de ces agences de notation?

Ensuite pour la gauche et notamment les socialistes : dans une conjoncture aussi déprimée, ne serait-il pas temps de s'émanciper un peu plus nettement des politiques récessives qui ont été mises au point en Europe et de faire preuve d'un peu plus d'audace ? Ne serait-il pas temps de préconiser des mesures plus énergiques contre la spéculation, et de recommander une vraie stratégie de croissance ?

Voyons donc d'abord le constat. Pour résumer son étude, l'Insee use, en titre, d'un euphémisme : « La zone euro marque le pas ». La vérité qui sourd des chiffres publiés par l'Institut est pourtant beaucoup plus nette que cela. En fait, l'Insee établit clairement que l'accumulation des plans d'austérité dans tous les pays européens est en train de faire basculer le continent dans une vraie et franche récession.

Le tableau ci-dessous montre en effet que le produit intérieur brut (le PIB, autrement dit, la croissance) de la zone euro devrait en effet reculer de -0,3% au cours de l'actuel dernier trimestre de 2011, avant de baisser encore de -0,1% au premier trimestre de 2012, puis être nulle (0%) au deuxième.


Or, par convention, les économistes parlent de récession dès que l'activité économique baisse au moins deux trimestres consécutifs. Il faut donc dire les choses comme elles sont : en Europe, la récession a dès à présent commencé. Elle pourrait se prolonger en 2012 sinon même s'aggraver, car les aléas attachés à cet exercice de prévision sont singulièrement forts. Au rythme des dégradations auxquelles les agences de notation vont procéder dans les prochaines semaines, et au gré des tours de vis budgétaires qui vont se poursuivre en Europe dans les prochains mois, il est probable que le scénario retenu actuellement par l'Insee se dégrade encore plus.


Un troisième plan d'austérité dans l'air

Quoi qu'il en soit, la conséquence pour la France est implacable : elle aussi est déjà entrée en récession. C'est ce qui transparaît du tableau ci-dessous, qui synthétise toutes les prévisions de l'Insee.



Détaillons en effet ces indicateurs fournis par l'Insee : ils attestent que tout se combine pour que la France s'enfonce dans la récession. Concrètement, le PIB devrait baisser de -0,2% au dernier trimestre de 2011 qui s'achève actuellement, puis de nouveau de -0,1% au premier trimestre de 2012. Ce qui correspond donc encore une fois à la définition d'une récession.

Mais il faut relever que pour le deuxième trimestre de 2012, l'Insee ne prévoit pas d'amélioration : tout juste +0,1% de croissance. Pas même l'épaisseur du trait ! Il suffirait donc que la France perde son « AAA » et que François Fillon annonce un troisième plan d'austérité – il l'a d'ailleurs déjà suggéré puisqu'il a évoqué un budget rectificatif sans doute en janvier – pour que la prévision de l'Insee s'avère encore trop optimiste et qu'en réalité la récession se prolonge.

C'est d'autant plus probable que, dans sa volonté de convaincre les agences de notation que la France est bien gérée et que les déficits publics sont sous contrôle, Nicolas Sarkozy ordonne un nouveau tour de vis à chaque fois que la prévision de croissance officielle est revue à la baisse. Or, les simulations de l'Insee attestent que cela devra une nouvelle fois être le cas.

Le gouvernement s'accroche en effet toujours à une prévision de croissance de 1% pour 2012. Mais il est de plus en plus contredit par tous les grands instituts. Voilà quelques jours, l'OCDE avançait ainsi un chiffre de seulement 0,3% pour la France en 2012. Et l'Insee se montre même encore plus pessimiste puisqu'il escompte un « acquis de croissance » nul (0%) à la fin du mois de juin 2012. Autrement dit, il faudrait que la croissance reparte nettement, de l'ordre de 0,5% au troisième puis au quatrième trimestre pour que le 0,3% de croissance sur l'ensemble de l'année soit atteint, conformément à la prévision... de l'OCDE !

C'est dire que le gouvernement conduit une politique économique qui le place dans une situation inextricable. Car il conduit une politique d'austérité qui casse la croissance, qui creuse donc les déficits, qui conduit les agences de notation à brandir la menace d'une dégradation, qui pousse le gouvernement à de nouvelles mesures d'austérité... Bref, c'est l'engrenage déflationniste et récessif.


Envolée du chômage, recul du pouvoir d'achat


Toutes les études plus détaillées de l'Insee, contenues dans cette note, révèlent que les Français vont en payer un très lourd tribut. Voici la partie de la note de conjoncture de l'Insee qui détaille notamment les évolutions de l'emploi, du chômage ou encore du pouvoir d'achat – on verra que ces évolutions sont terribles.
Note de conjoncture de l'Insee 15 septembre 2011


Pour l'emploi, la prévision est que l'hémorragie à l'œuvre sera grave. « Au total, 130.000 emplois marchands et non marchands seraient créés au cours de l'année 2011 et 21.000 emplois seraient perdus au premier semestre 2012 », écrit l'Insee. Compte tenu des évolutions démographiques, le chômage va donc continuer à augmenter vivement. « En raison du fort coup de frein prévu sur les créations d'emploi, le taux de chômage progresserait en France métropolitaine d'ici mi-2012, à 9,6 % (10,0 % y compris Dom) », dit encore l'Insee.

« À l'horizon de la prévision, le taux de chômage augmenterait à nouveau, en lien avec la dégradation de l'activité économique et de l'emploi. Il s'établirait à 9,4 % de la population active en France métropolitaine (9,8% y compris Dom) à la fin de l'année 2011, puis à 9,6 % en France métropolitaine mi-2012 (10,0 % y compris Dom). Au cours du deuxième semestre 2011, l'emploi progresserait nettement moins vite que la population active: 20.000 emplois seraient créés, alors que 102.000 personnes supplémentaires rejoindraient le marché du travail. Au premier semestre 2012, l'emploi total baisserait (-6.000), alors que la population active continuerait de croître à un rythme soutenu (+70.000 personnes)», constate l'Insee.

Pour le pouvoir d'achat, le tableau ci-dessous établit que les évolutions actuelles sont tout aussi graves.



Concrètement, le pouvoir d'achat (du revenu disponible brut des ménages) aurait en effet augmenté de 1,4% en 2011, mais il serait dans une phase spectaculaire d'effondrement, pour reculer de -0,1% au premier semestre de 2012. Cet indicateur est, toutefois, trompeur, parce qu'il ne corrige pas ce chiffre de l'augmentation du nombre des ménages du fait des évolutions démographiques. Ces évolutions de +1,4% en 2011 et de -0,1% au premier semestre de 2012 n'ont donc rien à voir avec ce que ressentent, concrètement, les ménages.

Pour mieux apprécier les évolutions réellement ressenties, l'Insee s'applique donc à chaque fois à calculer un autre indicateur du pouvoir d'achat, celui par unité de consommation. Logiquement, le pouvoir d'achat est donc dans ce cas beaucoup moins soutenu : il a seulement progressé de 0,7% en 2011. L'Insee ne donne pas de prévision pour cet indicateur au premier semestre de 2012, mais on en déduit logiquement que le pouvoir d'achat devrait baisser de l'ordre de -0,5 à -0,6 point. Ce qui est, pour celui qui voulait être « le président du pouvoir d'achat », le plus calamiteux des résultats.


Combattre l'austérité ou donner du sens à la rigueur ?

Il faut donc bien prendre cette « note de conjoncture » pour ce qu'elle est : une mise en garde, une alerte.

Car l'Insee le suggère clairement, rien n'est encore irrémédiable, tout peut s'inverser si une politique économique adéquate est arrêtée. « Cette prévision est affectée d'un degré inhabituel d'incertitude, et est soumise à de nombreux aléas. En particulier, dans un contexte de grande nervosité sur les marchés, les tensions financières dans la zone euro pourraient s'amplifier et venir gripper le système financier mondial. À l'inverse, la mise en œuvre de mesures permettant de restaurer la confiance des agents économiques pourrait entraîner un retournement des anticipations, et provoquer un rebond plus marqué de l'activité dans la zone euro, et donc en France », écrit en particulier l'Institut.

Du même coup, cette note a donc une double utilité. D'abord, elle constitue, en creux, un réquisitoire contre la politique économique de Nicolas Sarkozy, qui, de plans d'austérité en programmes de réduction des dépenses publiques, de refus depuis cinq ans de tout coup de pouce au salaire minimum à l'abandon de toute politique de soutien à la demande, a préparé lui-même le terrain de la récession. Et le projet de traité franco-allemand que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel veulent imposer à toute l'Europe, avec à la clef une règle d'or qui prétend pérenniser pour longtemps les politiques d'austérité et prohiber les stratégies de relance, menace d'aggraver encore la récession qui a commencé.

Mais l'interpellation vaut tout autant pour la gauche et notamment pour les socialistes. Car depuis quelques jours, François Hollande envoie des signes qui semblent plus à destination des marchés financiers que de ses électeurs – des signes de rigueur renforcée, pour ne pas dire d'austérité. Il y a d'abord eu sa spectaculaire volte-face sur la réforme des retraites (lire François Hollande enterre la retraite à 60 ans). Après avoir soutenu le projet de son propre parti, visant à rabaisser de 62 ans à 60 ans l'âge légal de départ à la retraite, le candidat socialiste a, lundi sur RTL, tourné casaque.

Mais sa position vis-à-vis du traité européen défendu par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel suscite aussi des interrogations. S'il est élu, François Hollande dénoncera-t-il le traité pour demander qu'un autre soit renégocié ? Ou demandera-t-il seulement que des compléments lui soient apportés ? En vérité, les propos qu'il a tenus, toujours lundi au micro de RTL, autorisent les deux interprétations. « Si je suis élu président de la République, je renégocierai cet accord», a-t-il dit, ajoutant : « Je ferai en sorte qu'on y ajoute ce qui manque, c'est-à-dire l'intervention de la Banque centrale européenne, les eurobonds, et un fonds de secours financier – c'est-à-dire ce qui va répondre à ce qu'est aujourd'hui la pression des marchés.»

En clair, le candidat socialiste veut-il tourner le dos aux politiques d'austérité, ou seulement, dans une formule alambiquée qui a le don d'agacer les autres composantes de la gauche, « donner du sens à la rigueur » ? La note de l'Insee a au moins le mérite de souligner l'enjeu décisif de ce débat. Et de poser une question centrale : quelle politique pour sortir de la récession ?

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