vendredi 23 septembre 2011

Vivre et travailler hors pays

Brussels Street Art (by Sevybxl)


Une nouvelle étape du mouvement des travailleurs sans papiers s'ouvre, avec la contestation devant les tribunaux administratifs des centaines de refus de séjour qui leur ont été assénés. Récit de l'audience de ce matin à Montreuil (93).
Jeudi 22 septembre 2011, Montreuil, Seine Saint Denis.

Le Tribunal Administratif (TA) audience les 19 premiers recours déposés par des travailleurs étrangers grévistes. Aboutissement du mouvement de grèves avec occupation qui ont mobilisé 6800 de ces travailleurs sans papiers, un millier de dossiers de régularisation ont été soumis à la préfecture de ce département, dans le cadre d'accords obtenus par les syndicats du mouvement de la part des ministères de l'intérieur et du travail.

Le préfet, réputé être l'homme fort du 9-3 choisit, justement, la méthode forte pour obéir aux ordres venus d'en haut: sans se préoccuper outre mesure des accords obtenus par la grève, il retourne des centaines de refus de séjour, avec obligation de quitter la France avant un mois (OQTF). Tandis que la CGT entamait une série de recours auprès du ministère de l'intérieur, les associations n'ont pas tardé à organiser la riposte judiciaire et un collectif d'une trentaine d'avocats s'est formé pour les assister dans leurs recours devant le TA.

Les 19 travailleurs de ce matin sont les premiers d'environ 400 qui contestent devant le TA de Montreuil la légalité du refus qu'ils ont essuyé.

La salle est pleine de sympathisants, assis, debout dans le fond, venus soutenir les demandeurs. Un appariteur peine à faire taire les bavardages, mais, finalement tout le monde sera attentif et silencieux. Sept avocats du collectif se partagent l'argumentation juridique, détaillant pour chacun de leurs clients les faits de vie qui justifient l'annulation du refus de séjour qui leur est opposé. Une partie des intéressés sont là. Le préfet n'a fait parvenir au tribunal aucune contre-argumentation et ne s'est pas fait représenter à l'audience.

Cela commence très fort: le rapporteur public* égrène, dossier après dossier, le bien-fondé des arrêtés du préfet, sans s'attarder exagérément sur la situation des personnes.

La diversité des situations personnelles reflète celle de l'ensemble du mouvement. Des africains tout au plus trentenaires – souvent maliens – travaillant depuis des années dans la construction, le nettoyage, la restauration; des femmes, jeunes ou moins jeunes – souvent algériennes – travaillant dans les familles auprès des enfants ou des vieux, ou pour tenir propre leur maison. Leurs employeurs, parce qu'ils ont besoin de leur travail, se sont engagés à leurs côtés en produisant une promesse d'embauche.

Pendant deux heures, au fil des informations données par les avocats, émerge progressivement la béance entre, d'une part, le monde de la politique, des lois qu'elle engendre, des autorités de police qui l'appliquent et des magistrats qui en contrôlent le respect et, d'autre part, la vie, la vie toute simple: les amis, la famille, le travail pour vivre et aider à vivre sa famille, ici ou là-bas.

Le pouvoir discrétionnaire des préfets est étendu mais, lorsqu'ils sont saisis d'une demande de régularisation, ils sont quand même tenus par la loi et la jurisprudence d'examiner tout ce qui, dans le lien de la personne avec la société française, justifierait la délivrance d'une carte de séjour. Or, les écrits préfectoraux en cause sont répétitifs et stéréotypés: d'une personne à l'autre on change seulement le nom, la date de naissance et la nationalité. Sans tenir compte des histoires personnelles, des métiers exercés, "dans un parfait mépris à l'égard des demandeurs", dira l'une des avocates. Certes, il s'agit d'un contentieux de masse, qui engorge les TA après avoir inondé les préfectures mais, dans les écrits du préfet, "rien ne démontre l'ombre d'un début d'un examen individuel des dossiers". Rien n'est dit ou fait "pour que l'administré puisse comprendre le sens de la décision qui le frappe"

Leur demande de régularisation appuyée sur la réalité de leur place dans la société par leur travail, demande qui souvent n'est pas la première, montre à l'évidence leur volonté de se sortir d'une situation illégale et angoissante. Et on leur répond sèchement: "vous ne remplissez pas les conditions". Mais, pourtant, ils sont partout dans les entreprises, pièces essentielles d'un marché du travail qui est tout sauf "libre et non faussé", déshonorant.

Ils vivent et travaillent en France depuis des années et l'on retient contre eux le fait qu'ils sont, pour la plupart, célibataires et sans enfants, donc dépourvus d'une vie personnelle ici. "et moi, s'écrie une autre avocate, qui n'ai ni mari ni enfants, je suis comme eux, je n'ai donc pas de vie personnelle!"

On retient contre ces travailleurs le fait qu'"ils ne sont pas dépourvus d'attaches dans leur pays d'origine". Bien vu! C'est justement ces "attaches dans leur pays d'origine" qui les ont fait venir ici gagner de quoi les aider à développer leur village, ou tout simplement, survivre. Ici pointent les injustices et les scandales de la relation économico-politique post-coloniale.

Ces hommes qui ont 35, parfois 40 ans ou plus, quand on leur pose la question "êtes-vous marié?", il leur arrive de répondre "non, pas encore". Ils ne pourront peut-être avoir une vie de famille que lorsqu'ils auront rempli leur devoir vis à vis de leur communauté.

Une dame algérienne s'occupe d'une autre, 97 ans. La fille de cette dernière, très satisfaite de son service, s'est déclarée à la préfecture comme employeuse future et, implicitement, actuelle. Le préfet, après avoir émis le refus de séjour, se fend d'une lettre à l'employeuse pour lui préciser que son employée n'a pas le droit de travailler! Colère et incompréhension de la fille de la vieille dame...

Au milieu de cette abjection, un rayon de sagesse joyeuse: rappelant un jour à un travailleur malien frappé d'un refus de séjour que le ministre de l'intérieur avait déclaré qu'on n'avait pas besoin de son travail, nous fûmes gratifiés d'un franc éclat de rire!

Martine et Jean-Claude Vernier

(*) Le rapporteur public est un conseiller auprès des juridictions administratives chargé d'exposer, en toute indépendance, son appréciation sur les faits et les règles de droit applicables et son opinion sur les solutions qu'appelle le litige.

http://blogs.mediapart.fr/blog/fini-de-rire/220911/vivre-et-travailler-hors-pays
photo : http://flic.kr/p/9gBZu9

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