samedi 24 septembre 2011

Quelques nouvelles de Tunisie


À près d’un mois des élections pour l’assemblée constituante, et huit mois après la chute de Ben Ali le 14 janvier dernier, où en sont les Tunisiens ? Faire un état des lieux de la situation est difficile : les informations vérifiables font souvent défaut. Les principaux acquis, liberté d’expression et d’organisation, ont été âprement défendus contre les tentatives de reprise en main par la fraction la plus policière du gouvernement de transition actuel.
L’insurrection populaire, née dans les régions les plus pauvres du centre-ouest de la Tunisie, a chassé le dictateur, certes. Mais les structures de la dictature, son appareil étatique et policier entre autres, sont encore en place, au prix de réarrangements internes. L’unité des premières heures, construite autour du rejet de Ben Ali et de son entourage, a laissé la place à des mouvements contradictoires, qui recoupent la division en classes de la société tunisienne : prolétaires des régions de l’intérieur et membres de la classe moyenne des riches villes côtières, jeunesse au chômage et sans perspective de Sidi Bouzid et fils et filles hyper branchés de la bourgeoisie de Sidi Bou Saïd 1, petits artisans ou commerçants et patron d’entreprises tournées vers l’international : voilà à grands traits quelques-unes des lignes de fracture qui traversent la société.
À quoi s’ajoutent les oppositions, tout aussi importantes, entre les tenants de l’Islam comme force politique et les défenseurs de la laïcité et des droits des femmes. Des débats passionnés, très animés ont eu lieu ces derniers mois sur la place de la religion et sur la laïcité, qui reste un concept mal compris par la majorité des Tunisiens. Les anciennes règles, qui depuis l’indépendance il y a 55 ans reposaient sur la crainte intériorisée de l’autorité, incarnée par la police et le parti unique, ont volé en éclats. La libération de la peur, et la frustration accumulée et tout à coup débondée, ont mis en mouvement des énergies centrifuges et contradictoires. Partout, dans presque tous les segments de la société, des revendications et des attentes ont émergé. Occupations d’usines, blocage de routes et manifestations se succèdent sans presque discontinuer depuis janvier dernier.
La lutte contre la pauvreté est loin d’être engagée, et les populations des régions les plus pauvres ont le sentiment d’avoir été trahies. Les attentes sociales sont très fortes : revendications salariales, créations d’emploi, titularisation des contrats précaires sont les principales demandes, en grande partie insatisfaites à ce jour. Cette situation attise les rancunes : des conflits entre membres de clans familiaux rivaux ont provoqué des affrontements sanglants à plusieurs reprises, et beaucoup de postes de police sont partis en fumée.
Dans les grandes villes, de nombreuses manifestations ont été réprimées par les policiers. Ces derniers ont même protesté devant le siège du gouvernement pour défendre ceux d’entre eux poursuivis dans le cadre des enquêtes sur les assassinats de manifestants de décembre et janvier dernier !
L’autorisation faite aux partis politiques fut couronnée de succès : à ce jour, ce sont 110 partis qui briguent les suffrages ! La course au pouvoir est lancée, avec en pole position le parti d’inspiration islamiste Ennahdha et le PDP, parti démocratique du progrès, ex-parti d’opposition croupion toléré du temps de Ben Ali. Tous les moyens sont bons pour se faire élire : on achète les voix contre monnaies sonnantes et trébuchantes, et la publicité politique use des méthodes les plus éculées de la propagande.
Un grand nombre de Tunisiens, dégoûtés de ce spectacle, n’ont même pas pris la peine de s’inscrire sur les nouvelles listes électorales ! Nombreux et nombreuses sont ceux qui craignent avec raison l’arrivée au pouvoir de Ennahdha, malgré son discours policé et modéré, mais qui est divisé en son sein entre « modernistes » inspirés par l’AKP turc 2 et « traditionnalistes » d’obédience intégriste.
Déjà, on peut voir défiler des groupes de salafistes, comme ceux qui ont tenté d’empêcher la projection du film Ni Allah ni Maîtresde Nadia El Fani en mai dernier à Tunis. Dans l’ombre, s’agitent les habituels magouilleurs : hommes d’affaire écartés par Ben Ali et qui souhaitent revenir aux avant postes, anciens du RCD, l’ex parti unique dissout en février, reconvertis dans l’un des nouveaux partis, ex flics se rachetant une conduite dans la défense des droits de l’homme. Tous les débats de ces derniers mois ont tourné autour de l’assemblée constituante, sur son rôle et ses prérogatives. Les questions de fond, à savoir l’organisation de la société, la lutte contre les inégalités, le modèle économique et productif, toutes ces questions ont été reléguées au deuxième plan. Comme toujours, le jeu politicien, centré sur les élections, tend à prendre toute la place, et à détourner le peuple de ses aspirations révolutionnaires. Les tunisiens ont conscience que la révolution n’est pas accomplie, et qu’il faudra encore bien des luttes pour faire avancer leur pays vers une société plus juste.

Mohamed, groupe Pierre-Besnard

1. Sidi Bouzid : ville pauvre du centre ouest de la Tunisie d’où est parti le mouvement insurrectionnel de décembre 2010.
Sidi Bou Saïd : ville riche de la proche banlieue de Tunis, destination de prédilection d’un certain tourisme argenté…
2. AKP : Parti pour la justice et le développement, ou l’islam est soluble dans le système parlementaire….

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire