mercredi 20 juillet 2011

Le système de santé en péril


Ya basta

Il convient d’abord de garder à l’esprit que le numerus clausus mis en place dans les années 70 a été fortement réduit depuis vingt ans : on est passé de 8500 à 3500 médecins formés (il faudrait former 9000 médecins et 40000 infirmiers). Cette chute a été soutenue par les syndicats de médecins de droite car elle permettait de faire jouer l’offre et la demande pour imposer une augmentation de leurs tarifs.

Dans de nombreux hôpitaux de province, des médecins partis récemment à la retraite n’ont pas été remplacés. Les dépassements d’honoraires dérégulés se sont généralisés. Des assureurs privés ont créé la société Santéclair pour aider les médecins à augmenter leurs tarifs. Société « spécialisée dans la gestion du risque santé », Santéclair « accompagne » une dizaine de compagnies d’assurances et mutuelles, dont Allianz et la MAAF. 1700 opticiens, 2500 chirurgiens-dentistes sont partenaires de cette société.

Les hôpitaux doivent faire face à plusieurs mutations : les progrès médicaux, les besoins des patients, les nouvelles conditions de l’exercice de la profession. Les progrès médicaux impliquent une concentration de moyens pour assurer les soins 24 heures sur 24. Ces moyens doivent être répartis de manière harmonieuse sur tout le territoire national. Sinon, la chaîne des soins peut s’arrêter. Chaque jour, dans les hôpitaux de Paris, plus de 1000 personnes sont en attente de soin. Certaines maladies tendent à disparaître, d’autres se développent. On rencontre de moins en moins de cas de poliomyélites ou d’ulcères à l’estomac mais de plus en plus de cancers de la prostate. 15 millions de personnes sont touchées par une maladie chronique. La santé des Français (et des autres) subit de plein fouet la crise sociale , mais aussi une évolution dans nos modes de vie. Ainsi, la sédentarité est responsable de la recrudescence des maladies cardiovasculaires (multipliées par 29 aux États-Unis entre 1900 et 1996). Le diabète de type 2 et l’obésité ont coûté un trillion d’euros dans ce même pays durant le XXe siècle. Dans ce domaine, les inégalités s’accroissent. Pour prévenir, lutter contre les maladies précitées, des activités physiques sont indispensables. On observe que l’Île-de-France compte 25 équipements sportifs pour 10000 habitants (loin des 52 de la moyenne nationale).

Le système de santé français est un compromis entre le programme du CNR de 1945 et la médecine libérale. L’augmentation des coûts (11% du PIB) implique le recours à une régulation publique. La droite souhaite une régulation par le marché, seule capable, selon elle, d’offrir des soins de qualité et à moindre coût, ainsi que des investissements nécessaires à l’innovation permise par les profits. Le problème est que le patient n’est pas un client comme les autres : il n’a pas choisi d’être malade et il est parfaitement inapte à évaluer l’offre de soins qui lui est faite. Souffrant, angoissé, il est une proie idéale, parfaitement manipulable par les prestataires. La médecine libérale augmente les coûts de la santé pour la société, ne serait-ce qu’avec les frais de gestion et coûts de marketing (15 à 20% côté assureurs privés et mutuelles, 5% côté sécu). En privilégiant les pathologies rentables, la médecine privée renforce les inégalités.

La politique de la droite consiste à effectuer le transfert des coûts vers les usagers et les assurances privées. Puis de vendre un service public prédécoupé selon des missions préétablies sans souci du bien-être collectif. Enfin de généraliser le paiement à l’acte ou à l’activité. Afin de différentier ce qui est rentable (réservé aux cliniques privées) de ce qui ne l’est pas (canalisé vers les hôpitaux). On ne s’étonnera pas qu’en 2009 29 des 31 CHU se soient retrouvés en déficit.

Les directeurs d’hôpitaux sont conduits à devenir de véritables managers. La loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) permet de recruter des directeurs issus du privé sur des bases contractuelles en dehors des échelles de la Fonction publique. Ces managers sont mis en place pour dégraisser le mammouth : 9800 emplois ont été supprimés en 2009, 10000 en 2010, 15000 en 2011. 1300 rien qu’à Paris.

La réponse du capitalisme financier à ces problèmes fut d’une simplicité biblique : toujours plus de libéralisme dans le cadre de la concurrence libre et non faussée. C’est au nom de ces principes, de cette “ liberté ”, que des pharmaciens en France se retrouvent désormais en rupture de stock (y compris pour des médicaments soignant des affections de longue durée) car les laboratoires préfèrent vendre à l’étranger à meilleur prix, et dans des pays où, de toute façon, ils payeront moins d’impôts.

Une réponse technique à la “ crise ” qui, je l’ai déjà dit maintes fois, n’est pas le problème mais la solution, fut d’instaurer des franchises contre la logique de la Sécurité sociale. Il en alla de ces franchises comme de la CSG : on commença piano et l’on poursuivit furioso. Quatre franchises furent instituées en 2008 : sur les consultations, les médicaments, les analyses, l’hospitalisation. On y ajouta 50 centimes sur chaque boîte de médicament et sur chaque acte paramédical, et 2 euros sur chaque recours aux transports sanitaires. Sans oublier le forfait d’un euros sur les consultations depuis 2004. La franchise attaque le principe de cotisation selon la capacité contributive de chacun, ouvrant un droit égal aux soins. À terme, ce système qui brise le dos du chameau, comme disent les Grands-Bretons, renforce toutes les inégalités (ce qui est en contradiction avec les politiques de l’immédiat après-guerre) et induit le recours aux assurances privées.

On estime qu’aujourd’hui 30% des assurés ne disposant pas de complémentaire renoncent à se faire soigner (63% pour les soins dentaires). Les dépassements d’honoraires ont augmenté de plus de 40% en dix ans, au point que 40% des assurés disposant d’une complémentaire ne sont pas remboursés des dépassements. Les écarts se creusent : un cadre vit désormais dix ans de plus en bonne santé qu’un ouvrier.

Immorale, ces politiques financières et malthusiennes sont également imbéciles au sens où elles font fi du fait que le secteur de la santé représente 10% des emplois, sans parler de cette évidence qui veut qu’une population en bonne santé est plus productive qu’une population asthénique. Que les dépenses de santé, comme celles du tertiaire en général, s’élèvent plus vite que le PIB n’a rien de scandaleux, au contraire : c’est un signe de la vigueur des sociétés modernes.

Contrairement à ce que martèle l’idéologie libérale, la gratuité des soins n’est pas source de dépenses supplémentaires, comme le montre aujourd’hui l’exemple scandinave, et comme cela fut le cas pendant une trentaine d’années en Grande-Bretagne. En revanche, les trente milliards d’euros d’exonérations de cotisations patronales, chaque année, sont un fardeau insupportable pour la collectivité. D’autres formes de rémunération pour les médecins que le paiement à l’acte doivent être trouvées et tentées. Il faut absolument élever un mur (un cordon sanitaire ?) entre la formation continue des médecins et les entreprises pharmaceutiques. Nous sommes en effet au-delà de l’inceste en ce domaine. Dans Le Choeur des femmes, le romancier et médecin Martin Winckler écrit : " Le simple fait qu’une entreprise de médicaments offre des blocs-notes publicitaires gratuits à des étudiants en médecince influence les prescriptions ultérieures".

Des pratiques réellement démocratiques dans la santé publiquent implique le rétablissement des élections des administrateurs des caisses d’assurance maladie, ainsi que des droits et des pouvoirs nouveaux pour les salariés et usagers.

Note réalisée à l’aide de réflexions de militants du SNESUP, le professeur de médecine André Grimaldi et la maîtresse de conférences honoraire en sciences économiques Catherine Mills, au premier chef.
http://bernard-gensane.over-blog.com/

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1782

photo : http://www.flickr.com/photos/nikkola/2634965540/

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