samedi 25 juin 2011

Droit de fuite



ce texte, écrit au mois de mars 2011, à le mérite de poser un problème aussi délicat que primordial : celui du droit de fuite d'un pays ravagé par la violence.

Depuis le poste frontière de Saloum, à la fontière entre la Lybie et l'Egypte, par où 100.000 étrangers ont déjà quitté le pays, Pierre Salignon, directeur général de Médecins du monde, s'indigne de la crainte entretenue en Europe d'une vague d'immigration qui ne repose sur rien.
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Le poste frontière qui permet l'accès en Egypte des ressortissants étrangers fuyant les violences en Libye est situé à 4 kilomètres de la petite ville portuaire de Saloum, à l'extrême ouest des côtes méditerranéennes de l'Egypte. Ici, ce sont plus de 100.000 personnes qui ont déjà transité pour rejoindre leurs pays d'origine et fuir les violences en Libye. Loin de l'attention des médias, plus présents en Tunisie. 
Plus de 30 nationalités au total, mais une majorité d'Egyptiens. Essentiellement des hommes, même si des familles arrivent désormais. Tous vivaient et travaillaient en Libye. Des travailleurs spécialisés, mais surtout une main d'œuvre bon marché, corvéable et silencieuse, souvent très pauvre, originaire des pays d'Asie mais aussi des pays d'Afrique sub-saharienne. 
La majorité de ces ressortissants étrangers a pu bénéficier sans trop de délais du soutien de leurs ambassades pour être rapatriée chez elle. Plus de 200.000 d'entre eux ont été évacués ces dernières semaines sur l'ensemble de la région. 
En Egypte, ce sont près de 2.000 personnes qui continuent d'affluer chaque jour. Fin février, ils étaient 6.000. «Cela dépend des jours», nous dit-on. 
Dans la zone d'attente entre les frontières libyenne et égyptienne, sur une colline désertique, plus de 5.000 personnes étaient encore présentes le 8 mars dernier. Vivant à même le sol, en plein air dans leur majorité, dans des conditions d'hygiène précaires, ils se protégeaient du froid, de la pluie et du vent, en constituant des protections avec leurs maigres bagages, des couvertures et des tapis de sol. Ils ont le soutien des Nations unies, des autorités égyptiennes et d'ONG pour la nourriture, les soins, même si la situation reste un peu chaotique, entre arrivées et départs, difficultés de communication étant donné le nombre de nationalités présentes. Nombre de rescapés sont en état de choc, dépassés par ce qui s'est passé, et sans trop savoir ce que sera leur vie demain, «une fois rentré au pays». 
Nombreux sont ceux qui ont tout perdu, ont été dépouillés de tous leurs biens et titres de voyage dans leur fuite à travers la Libye, que ce soit dans les zones contrôlées par les hommes du régime ou celles de l'Est, dite «libérées». 
Les récits des nouveaux arrivés sont alarmants. En particulier ceux des ces jeunes travailleurs africains, qui avant de se risquer à se mettre en route, se sont cachés pour éviter les violences. Ils font état parfois de descentes systématiques dans leurs maisons, leurs logements, d'hommes armés ou munis de bâtons, pour les pousser à fuir, pour les voler. «Ils nous accusent d'être des mercenaires du régime», me disait un jeune homme camerounais dont la compagne a été violée sous ses yeux. «Ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains», disait un autre. Certains témoignent que des membres de leur communauté ont été tués parce qu'ils n'avaient pas d'argent ou tentaient de se défendre. Sans que l'on puisse le confirmer à ce stade. 
On sait enfin que de nombreux étrangers, originaires du Tchad, mais aussi du Mali, ou de Syrie, doivent arriver «dans les prochains jours». Plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Leur demande d'être écoutés est forte. A ce stade, les opérations de rapatriement ont mis de côté leurs revendications de témoigner de ce qu'ils ont vécu «làbas».
Droit de fuite et calendrier électoral 
Dans ce contexte, les déclarations des dirigeants français et d'autres pays européens faisant un lien entre les révolutions arabes et une possible vague d'immigration clandestine submergeant l'Europe sont particulièrement choquantes et scandaleuses. 
Tout d'abord, elles ne correspondent simplement pas à la réalité observée. 
Aujourd'hui, ceux qui fuient la Libye sont des ressortissants étrangers, travailleurs souvent très pauvres, qui cherchent juste à fuir la guerre, et les violences ou discriminations dont ils y font l'objet. Ils ne cherchent qu'à rentrer chez eux, alors qu'ils ont quasiment tout perdu. 
Deuxièmement, les déclarations de nos gouvernements nient une autre réalité plus terrible. En situation de conflit, le droit de fuite existe et est reconnu par le droit international, afin de chercher refuge hors des frontières d'un pays livré à la violence. Ceci est d'autant plus important que se confirment les violences contre les civils dans de nombreuses villes de Libye, soumises aux bombardements aveugles, sans qu'il soit possible de leur venir en aide directement. Le travail des organismes de secours est entravé et leur mission médicale n'est pas respectée. 
A ce stade, le nombre de Libyens ayant quitté leur pays est faible. Tout juste quelques milliers dont l'accueil a été facilité en Egypte en particulier. Mais si les violences se poursuivent et faute de pouvoir leur venir en aide chez eux, peut-être observera-t-on plus de personnes tentées de chercher refuge dans les pays limitrophes. Il faudra alors leur porter assistance en tant que réfugiés, et certainement pas les présenter comme des clandestins. 
Il faut aussi noter la situation particulière de nombreux ressortissants étrangers en fuite qui ne pourront pas retourner dans leur pays d'origine, lui même ravagé par la guerre (Somalie, Côte d'Ivoire par exemple). Ils demandent à pouvoir bénéficier d'un statut de réfugié et de la protection des Nations unies. 
Un dernier point, les déclarations de nos dirigeants européens sont, vues du Caire ou de Tunisie, une insulte aux révolutions en cours au sud de la Méditerranée, à cet élan de liberté et de changement qui souffle en Egypte, en Tunisie et en Libye en particulier; une incompréhension voire un mépris pour cette jeunesse qui a décidé de prendre son destin en main, et de refuser l'oppression de régimes corrompus et vieillissants. Croyez-vous qu'ils ont envie de quitter leur pays aujourd'hui alors qu'ils sont en train d'écrire l'histoire ? Il suffit d'aller place Tahir pour avoir la réponse. 
L'agenda pré-électoral français a pris le pas sur une analyse rationnelle des faits. C'est choquant, loin des réalités du terrain, et des besoins de protection et d'assistance des populations qui fuient l'oppression ou luttent pour plus de libertés.
12 Mars 2011 

http://blogs.mediapart.fr/edition/revolutions-dans-le-monde-arabe

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